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aussitôt avec M. Brillon du Perron, administrateur des hôpitaux, pour fournir à l’inventeur les moyens de prouver son dire. Il y avait à l’hôpital général une manutention très considérable, mais si mal outillée encore en 1760 qu’on y faisait la mouture à la grosse, et qu’on portait la boulange, pour y être blutée à main d’homme, à la maison Scipion, succursale de l’établissement. Malisset fut mis en demeure de monter un moulin suivant sa méthode. Les expériences faites à l’hôpital général, répétées aux moulins de Corbeil et de Saint-Maur, lui furent tout à fait favorables. Voici les résultats comparatifs : — méthode ancienne, rendement en farine blanche dite fleur, 23 pour 160; farine moitié bise, 34; farine bise, 22; son, 18, déchet 3; — méthode économique ; fine fleur, 66 pour 100; farine bise, 13; son, 18; déchet, 3. Ainsi la farine de seconde qualité était supprimée par la nouvelle méthode. On pouvait faire trois fois plus de pain blanc, et les frais de fabrication étaient moindres. L’hôpital général renouvela toute sa manutention; toutefois, pour ne pas changer le pain qu’elle avait coutume de donner à ses pensionnaires, l’administration faisait remoudre les gruaux et vendait au dehors la farine qui en provenait. Cette farine de vrai gruau fut tellement recherchée qu’elle fit tort aux marchandises courantes : le commerce protesta contre la concurrence que lui faisait l’autorité.

Le succès devenait éblouissant. Les procès-verbaux des expériences furent envoyés aux intendans des provinces. Les statisticiens calculaient qu’on allait faire avec deux setiers de blé autant de bon pain qu’on en faisait avec trois un siècle plus tôt, et que c’était pour la population parisienne une économie de 15 millions de francs. Malheureusement le subtil Malisset alluma chez ses protecteurs la fièvre de la spéculation. L’impudent abbé Terrai, dont la spécialité était de pourvoir aux caprices d’une cour corrompue, était toujours aux expédiens : on lui fit entrevoir la possibilité de réaliser au jour le jour, et sans que la population s’en aperçût, une sorte de fonds de roulement pour assouvir les fantaisies du roi et de la favorite (c’était alors Mme Du Barry), pour gorger les protecteurs et les agens dont il avait besoin, sans s’oublier lui-même. De cette illusion sortit la monstrueuse affaire que l’indignation du peuple a nommée le pacte de famine.

Ce n’était pas un monopole bien caractérisé. Il s’agissait tout simplement d’accaparer des grains et de dicter les prix sur les marchés; la mouture économique n’était qu’un accessoire dans l’entreprise, et tout, cela n’aurait pu réussir sans une complicité permanente du pouvoir. Il fallait un prétexte pour former une compagnie et appeler des capitaux : la candeur des économistes le fournit. Persuadés théoriquement que la prospérité des propriétaires fonciers suffit au