Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/989

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment des meules. On ajouta au système des engins appelés bluteaux, au moyen desquels on faisait, fort imparfaitement alors, le tamisage par le même mouvement que la mouture. On commença par faire entrer en ligne de compte la dépense de temps et de force motrice. Chacun tâchait de conserver à l’état de secret l’amélioration qu’il avait introduite. La fusion des procédés s’opéra à la longue, et vers 1760 on signalait autour de Paris, surtout à Corbeil et à Pontoise, cinq ou six moulins dont la pratique était un mystère, mais qui faisaient mieux que les autres.

Il ne suffit pas qu’une invention soit excellente pour que la société en recueille amplement les fruits : il faut de plus qu’elle soit épousée par un de ces hommes qui ont l’œil, le flair et le tour de main requis pour concevoir une affaire et l’adapter aux forces vivantes, aux entraînemens, à la badauderie du jour; je dirai, par une métaphore qui n’est pas trop déplacée ici, que le faiseur est le levain, vicié en lui-même, mais sans lequel la pâte ne lèverait pas. Il se trouva donc, pour lancer la nouvelle meunerie, un faiseur de première force. Il avait nom Malisset. C’était un ancien boulanger, quelque peu banqueroutier, ayant essayé la meunerie sans grande réussite, et enfin s’étant jeté dans la vague industrie des marchands de son. Le plus clair des bénéfices qu’il avait faits dans ces divers métiers était une connaissance approfondie de tout ce qui concerne le pain. Avec les renseignemens qu’il avait recueillis et les résultats de sa propre expérience, il avait agencé un système de meunerie qu’il rattachait à une vaste spéculation sur les grains, et il pouvait faire miroiter « une affaire » devant les yeux cupides.

Le moment était bien choisi. À l’entre-sol de l’hôtel Pompadour, une réunion de citoyens éminens, inspirés et présidés par le docteur Quesnay, élaboraient les rudimens de la science économique ; leur zèle ardent et généreux rayonnait sur tous les grands intérêts sociaux. Une erreur de leur doctrine naissante, l’idée que toute richesse sort de la terre, avait saisi les esprits : il en était résulté un subit entraînement vers les problèmes touchant à l’agriculture, à la population, aux subsistances. L’engouement pour ces études était général : le roi et la favorite donnaient le ton. Malisset, en homme habile, mit sa prétendue invention sous le patronage des philosophes économistes : il appela son procédé mouture économique pour faire contraste avec l’ancienne routine, appelée mouture à la grosse, celle qui écrasait le grain tant bien que mal, et rendait le son mêlé à la farine.

Grâce aux protections qu’il sut acquérir, Malisset put dérouler tous ses plans sous les yeux de M, de Sartines. Accueillir de pareilles idées, c’était faire sa cour. Le lieutenant de police s’entendit