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accorde pas moins le droit de donner son suffrage pour les élections. Puisque nous sommes sur ce chapitre, on sera peut-être curieux d’apprendre comment les élections se pratiquent au Brésil. Il suffira d’un exemple pour donner au lecteur européen une idée de l’éducation politique du vaste empire sud-américain.

Aux termes de la constitution brésilienne, tout homme libre, qui n’est pas trop franchement déguenillé, a droit, à certaines époques périodiques, de jeter dans une urne soigneusement enrubannée un carré de papier plié en quatre. Là, comme partout ailleurs, se trouvent deux partis classés sous ces deux dénominations : les conservateurs et l’opposition, — les uns défendant obstinément le passé, les autres parlant non moins obstinément de progrès et de liberté jusqu’au jour où, arrivés enfin au pouvoir, ils continuent à défendre avec plus de chaleur encore qu’on ne le faisait auparavant les saines traditions de leurs prédécesseurs. Comme partout aussi, on voit le troupeau électoral se partager en deux camps, suivant que le mot de constituiçao ou d’opposiçao résonne le mieux à leurs oreilles. Dans je ne sais plus quelles élections, un candidat ministériel pria un de ses amis, riche planteur de la province, de lui donner les voix de tous les hommes libres qui se trouvaient sur ses terres. Ces sortes de services ne se refusent nulle part entre gens bien élevés, et surtout au Brésil, où semblent s’être réfugiées les vieilles traditions chevaleresques, chassées peu à peu de l’ancien continent par la marche incessante des révolutions. Il fut donc convenu que tous les colons de la fazenda seraient invités à un banquet quelques jours avant les élections, et que là on leur rappellerait à la fois le jour fixé pour le scrutin, leur titre d’hommes libres qui leur donnait le droit de s’approcher de l’urne enrubannée, et le nom du candidat qu’ils devaient soutenir.

Au jour indiqué, on vit apparaître au coucher du soleil la plus étrange réunion de figures humaines que l’imagination en délire d’un peintre fantaisiste puisse rêver : de vieux nègres, qui, ayant obtenu la liberté à la mort de leur ancien maître, s’étaient hâtés de retourner à leur fainéantise africaine ; quelques cabocles aux cheveux lisses et au teint cuivré, se disant civilisés parce qu’ils portaient un caleçon et buvaient de la cachaça ; enfin des produits hybrides, résultat du mélange de toutes les races qui depuis Pizarre