Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/947

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Orange, dit-il, faisoit de nouvelles levées pendant que faute d’argent Louis XIV étoit obligé de diminuer chaque compagnie de cavalerie de dix maîtres; encore ne donnoit-on aucun argent aux troupes pour les recrues. Bien plus, il y avoit déjà longtemps qu’on ne leur payoit plus la solde ordinaire. Tout le royaume souffroit par la disette de blé et de vin ; le nombre des pauvres étonnoit. En un mot, tout gémissoit en France, ce qui donnoit la licence de crier et même d’écrire; comme si l’on n’étoit pas bien empêché avec toute l’Europe sur les bras. D’autres auroient été bien embarrassés[1]. »

La situation était sans contredit des plus difficiles; mais si, dès les premiers temps de son ministère, Pontchartrain, établissant le seul impôt qui pesât sur tous, la capitation, l’eût résolument maintenu après la guerre pour en solder les charges, ces créations d’emplois dont le souvenir est devenu l’accompagnement malheureux de son nom eussent été inutiles. On a vu ses principes et ses idées au sujet de quelques-unes des questions qu’il avait à décider comme chancelier. Là encore rien ne trahit un cœur généreux et cette sainte ardeur pour le progrès qui fait les grands rois et les grands ministres. La règle et la loi, telle paraît avoir été sa devise : belle devise sans doute pour un chancelier, mais qui ne fait pas faire un pas aux sociétés. Quant à son esprit, à l’agrément de ses manières, au charme de ses relations, à cette absence complète de pédanterie qui le distinguait entre tous, on peut, ce semble, s’en rapporter à Saint-Simon. Notons pourtant cette protestation d’un juge compétent et bien placé, Mme de Maintenon : « J’écris sur le dos de M. de Pontchartrain, qui parle fort haut et fort vite, et qui, quoiqu’il ne dise pas grand’chose, me cause bien des distractions. »

Le chancelier de Pontchartrain survécut treize ans à sa retraite, et ne mourut qu’en 1727, âgé de quatre-vingt-quatre ans. Son fils unique, fils dégénéré, qui, sans talens d’aucun genre, n’eut ni son désintéressement ni sa probité, Jérôme Phélypeaux, comte de Pontchartrain, fut secrétaire d’état de la marine de 1609 à 1715, et eut lui-même pour fils ce trop célèbre et futile comte de Maurepas, ministre aussi de la marine de 1723 à 1749, disgracié pour un couplet, et qui, redevenu ministre sous Louis XVI, manqua l’occasion de sauver la monarchie, faute de soutenir franchement Turgot.

Une réflexion pénible vient à l’esprit quand, jetant un regard d’ensemble sur le siècle de Louis XIV, on voit ainsi décliner, à mesure que le prince avance en âge, la valeur des hommes chargés de la conduite des affaires. Parmi les grands ministres du règne, de Lionne et Colbert lui avaient été légués par Mazarin. Deux autres

  1. Bibliothèque impériale. Mss. Recueil de Chansons historiques, t. VIII, p, 17.