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être provisoire et relatif, subordonné à quelque condition absolue que nous ignorons.

Le même raisonnement peut s’appliquer à la force comme à la matière, ces deux choses étant inséparables, suivant MM. Moleschott et Büchner. Si la matière est divisible à l’infini, la force l’est également; mais nous dirons, comme tout à l’heure, qu’une force composée n’a d’autre réalité que celle des forces composantes dont elle résulte. La force d’un attelage de deux chevaux n’est que la somme de deux forces inhérentes à ces chevaux. Dans la réalité, ce qui existe, ce n’est pas la résultante que le mathématicien considère, ce sont deux forces distinctes et associées. S’il en est ainsi, la force générale répandue dans un morceau de matière doit se ramener aux forces élémentaires inhérentes aux particules du tout; mais, si ces particules elles-mêmes sont composées, les forces qui y adhèrent le sont aussi, et par conséquent ne sont pas encore les vraies forces que nous cherchons. Enfin, si toute force est divisible à l’infini, nous ne trouverons jamais la dernière force, cet atome de force sans lequel la force composée n’est rien de réel. Ainsi la force s’évanouit comme la matière même.

Essayez maintenant de concevoir cet infini divisible (matière et force) comme un absolu qui existe par soi-même, vous n’y parviendrez pas. Qu’y a-t-il, que peut-il y avoir d’absolu dans un composé? Ce sont les élémens, car personne ne dira, par exemple, que cet arbre, cette pierre, possèdent l’existence absolue. Ces êtres ne sont que des formes accidentelles produites par la rencontre des élémens. Le tout lui-même, le cosmos, n’est que la forme des formes, la somme de toutes les foi-mes antérieures. La nécessité absolue de la matière ne peut donc résider que dans les élémens de la matière, et c’est là que les matérialistes l’ont toujours placée. Mais s’il n’y a pas d’élémens, où réside alors la nécessité absolue? Et comment la matière pourrait-elle être conçue comme existant par elle-même?

Ainsi la divisibilité infinie de la matière, si elle était admise comme véritable, devrait conduire l’école allemande à admettre quelque principe différent de la matière qui, donnant quelque consistance à cette fluidité absolue, lui permettrait d’exister. En un mot, une étude plus approfondie du problème ramènera la nouvelle école du matérialisme à l’idéalisme.

Ce n’est pas tout. MM. Moleschott et Büchner ont posé comme principe évident par soi-même la coexistence nécessaire de la matière et de la force; mais si dans les corps vous faites abstraction de la force, de laquelle dérivent déjà le mouvement et l’impénétrabilité, que reste-t-il pour constituer la matière? Rien autre chose que l’étendue. La matière est donc une chose étendue, douée de force.