Le livre du docteur Büchner est antérieur au livre célèbre du docteur Darwin sur l’origine et la transformation des espèces, sans quoi il n’aurait pas manqué de s’en servir pour défendre son hypothèse; mais il le cite avec admiration dans une note de la dernière édition, et nous dit qu’il ne se doutait pas que la science viendrait si vite confirmer ses conjectures et lui apporter les preuves les plus convaincantes à l’appui de ses assertions. Darwin lui sert surtout à résoudre le problème difficile de l’appropriation des formes au milieu, en d’autres termes le problème des causes finales.
On prévoit que le matérialisme moderne, comme le matérialisme ancien, doit s’élever avec beaucoup d’énergie contre les causes finales, contre l’hypothèse d’un prétendu dessein dans la nature. On prétend que, dans la nature, tout a été fait pour l’usage de l’homme! Mais alors à quoi bon les animaux nuisibles? Les théologiens de tous les temps se sont torturé l’esprit de la façon la plus comique pour expliquer l’existence de pareils êtres. A quoi bon la maladie, et tous les maux physiques en général? Les théologiens disent que la maladie est le résultat du péché; mais c’est une erreur causée par l’ignorance. La maladie est aussi ancienne que la vie organique; la paléontologie nous montre beaucoup d’ossemens d’animaux changés par la maladie. Les couleurs des fleurs, dit-on, sont faites pour charmer les yeux; mais combien de fleurs se sont épanouies et s’épanouiront sans que l’œil de l’homme les ait jamais vues! On insiste sur l’utilité des organes et leur appropriation à une fin; mais l’anatomie comparée nous fait connaître un grand nombre d’organes inutiles et rudimentaires qui, utiles pour une espèce, sont tout à fait inutiles dans d’autres espèces, par exemple les mamelles rudimentaires de l’homme, les dents de la baleine, etc. Il y a des animaux hermaphrodites qui possèdent les organes des deux sexes, et ne peuvent cependant se féconder eux-mêmes. A quoi bon cette complication? Les monstruosités sont encore une preuve décisive contre les causes finales. Il y a des animaux parfaitement conformés qui naissent sans tête, et par conséquent dont la vie est impossible. N’est-il pas absurde que la nature se donne la peine d’achever de pareilles formes, qui sont parfaitement inutiles? On invoque la vis medicatrix ; mais à quoi bon les médecins, si la nature se guérit toute seule? Et combien de fois ceux-ci ne voient-ils pas dans les maladies, dans les blessures, la nature agir à contre-sens, et mettre en péril la vie du malade? Pourquoi, dit M. Littré, la nature ne nous avertit-elle pas quand nous avalons un poison? Pourquoi ne le rejette-t-elle pas? Pourquoi l’introduit-elle dans la circulation, comme si c’était un aliment utile? Pourquoi enfin, lorsque le poison est absorbé, détermine-t-elle des convulsions qui ne servent.de rien au malade, et qui l’emportent?