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coup attaquées du dehors par le mouvement critique et positiviste et par le mouvement hégélien, là-bas rétrograde, mais ici novateur; c’est ainsi que nous nous sommes vus contraints, nous spiritualistes français, de passer subitement et sans préparation de la gauche à la droite.

Cependant le succès de la philosophie de Schopenhauer ne paraît avoir été en Allemagne qu’une crise passagère. Ce philosophe appartenait encore trop au mouvement qu’il combattait. C’est un idéaliste qui se rattache évidemment à Kant, et même à Fichte, et par ce côté ses doctrines sont évidemment surannées. Où est le temps où l’on pouvait écrire sérieusement et faire croire de pareils axiomes : « Je suis, parce que je veux être? » En outre il faut être profondément versé dans les mystères de la phraséologie philosophique de l’Allemagne pour comprendre la différence qui peut exister entre la volonté absolue, qui est, suivant ce philosophe, l’essence du monde, et l’idée absolue de l’école hégélienne. Une volonté sans conscience et une idée sans conscience me paraissent se ressembler beaucoup et ne sont autre chose que l’activité instinctive et immanente de l’être absolu.

C’est dans un ordre d’idées plus positives que l’Allemagne dut chercher une philosophie. Ce furent la physiologie et les sciences naturelles qui la lui fournirent. Pendant tout le temps qu’avait régné la philosophie de l’identité, les sciences s’étaient isolées et tenues sur la réserve. Quelques grands savans toutefois, OErsted, Oken, Burdach, Carus et même Müller, avaient évidemment été sous le prestige de l’idéalisme. Des réclamations s’étaient à ce propos élevées au nom de l’expérience, et Goethe lui-même, quoique poète, mais savant en même temps que poète, avait bien vu le vice de la méthode spéculative et de la science a priori. « Voici bientôt vingt ans, disait-il, que les Allemands font de la philosophie transcendante. S’ils viennent une fois à s’en apercevoir, ils se trouveront bien ridicules. » Cependant l’empire de la philosophie était si grand qu’elle s’arrogeait le droit de traiter avec le plus haut dédain les objections de l’empirisme. Si l’on reprochait à cette philosophie de ne pas pouvoir expliquer les faits particuliers, Michelet de Berlin répondait avec hauteur que « de pareilles explications n’étaient pas au-dessus du savoir, mais au-dessous. » On répond ainsi quand on est le plus fort, mais de pareilles réponses se paient nécessairement un jour ou l’autre. C’est ce qui est arrivé en Allemagne à la philosophie de la nature. «La défaveur de ce système est telle, dit Büchner, que le nom de philosophie de la nature n’est presque plus qu’un terme de mépris dans la science. » Les sciences naturelles et positives ont repris le sceptre que la philosophie idéaliste avait été