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On a vu comment cet acte étrange consacra le veto et se prononça en faveur des confédérations. Les dissidens y reçurent satisfaction à peu près complète. Les seules réserves faites en faveur des catholiques furent que leur religion serait déclarée religion dominante et devrait être professée par le roi et la reine. Tout le reste fut accordé. Non moins blessés de la forme qu’irrités de ces innovations imposées, les catholiques s’organisèrent pour la résistance. Le traité n’était pas encore signé que l’arme terrible fournie par la délégation à l’esprit de révolte se tournait contre son œuvre. Le 21 février 1768 fut proclamée, à Bar en Podolie, la confédération devenue si fameuse sous le nom de confédération de Bar. Les deux Pulawski et les deux frères Krasinski, dont l’un était le vénérable évêque de Kaminiec, et dont l’autre devint le maréchal de la confédération, s’en firent les promoteurs et les chefs. Elle s’intitula Confédération de la sainte Eglise catholique et son premier acte fut de protester contre l’intervention de la Russie dans les affaires de Pologne et contre les concessions faites aux dissidens.

Dès lors le sort de la Pologne put sembler inévitable aux esprits clairvoyans; les efforts mêmes faits pour son indépendance, mal conçus et mal dirigés, devaient hâter sa perte. La confédération de Bar et les excès qui se commirent au nom de ses chefs, l’attentat du 3 novembre 1771 contre la personne de Stanislas-Auguste, enhardirent les puissances coalisées et devinrent le signal du premier partage. Les persécutions religieuses et le désordre général, qui auraient pu tout au plus excuser une intervention passagère, ne donnaient certes pas aux ennemis de la Pologne le droit d’invoquer hypocritement des principes de tolérance et des nécessités de préservation pour légitimer une des plus odieuses spoliations que l’histoire ait eu à enregistrer. Mais ils s’en servirent habilement pour cacher leurs projets et tromper l’opinion de l’Europe jusqu’au jour où ils jetèrent le masque.


III.

Il était dès cette époque trop aisé de prévoir que la Pologne succomberait sous ses divisions et sous l’accord égoïste des trois puissances rivales réunies, cette fois, par la convoitise et la jalousie, au milieu de l’Europe inattentive et indifférente[1]. Il faut laisser ici M. Harris raconter, sans trop l’interrompre, les événemens dont

  1. Soit étrange aveuglement, soit flatterie pour Catherine et Frédéric, soit parti-pris dans tout ce qui touchait de près ou de loin aux questions religieuses, ceux même qui avaient la prétention de se constituer en France les ennemis de toute tyrannie et les défenseurs de tous les opprimés, et notamment Voltaire, ne montrèrent à l’égard de la Pologne ni prévoyance, ni justice, ni générosité. Voltaire donne des éloges sans réserve à l’occupation russe de 1767 (*). Ailleurs il félicite Frédéric de la pacification de la Pologne; il le remercie de l’envoi d’une médaille frappée à l’occasion du partage, médaille qu’il appelle un bijou, et s’extasie sur le très bel effet que produit la nouvelle carte de la Prusse polonaise. Puis il ajoute, en vers fort médiocres :

    La paix a bien raison de dire aux palatins :
    Ouvrez les yeux ; le diable vous attrape,
    Car vous avez à vos puissans voisins,
    Sans y penser, longtemps servi la nappe.
    Vous voudrez donc bien trouver bel et beau
    Que ces voisins partagent le gâteau (**).

    Enfin, dans ses lettres à Catherine, il ne cesse de prodiguer les sarcasmes à ceux qu’il appelle Polaques et les éloges à la politique de la tsarine. Il n’épargne pas même les Français qui étaient allés prêter à l’indépendance polonaise le secours de leur épée (***).

    (*) Mélanges, t. VII, p. 461, édition Beuchot. 

    (**) Lettre à Frédéric II du 16 octobre 1772, t. LXVIII, p. 6.
    (***) Voyez presque toutes les lettres à Catherine II écrites en 1772.