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au désordre. La Pologne avait été jusque-là moins troublée que le reste de l’Europe par les querelles religieuses. Une tolérance réciproque entre les catholiques, les protestans et les chrétiens grecs avait prévenu les résultats trop souvent funestes de la diversité des religions; mais cette tolérance tendait à s’affaiblir. Des discussions s’étaient élevées sur l’étendue des garanties contenues dans le traité d’Oliva, conclu avec la Suède en 1660, et la Russie, dont le secours avait été invoqué par les dissidens et en particulier par ceux de l’église grecque non unie, avait cherché un droit d’intervention dans les stipulations du traité de 1686. Les dissidens jouissaient de l’égalité civile, mais ils s’étaient vus privés peu à peu des droits politiques que les nobles parmi eux avaient obtenus, en 1523, à la diète de Wilna. Les catholiques, de plus en plus prépondérans, restreignirent en 1717 la liberté des cultes. Dans les diètes de 1733, 1736 et 1766 furent arrêtés et successivement confirmés des règlemens qui excluaient les dissidens de la représentation nationale, de l’entrée dans les tribunaux et à peu près de tous les emplois publics. Il était naturel que le mouvement général des esprits en Europe, au XVIIIe siècle, les poussât à souhaiter une complète émancipation, et, comme il arrive toujours en pareil cas, les prétentions élevées d’un côté avaient de l’autre augmenté les résistances. Froissés et mécontens, les dissidens avaient cherché en Prusse et en Russie un appui qu’ils réclamaient soit comme coreligionnaires opprimés, soit au nom de la liberté de conscience. L’occasion était trop belle pour n’être pas saisie, et l’immixtion dans les affaires intérieures de la Pologne recevait ainsi une trompeuse apparence de médiation protectrice.

Cependant des confédérations s’étaient formées; le prince Radziwill s’était mis à leur tête ; un ambassadeur du roi de Pologne et un envoyé des dissidens s’étaient rendus à Saint-Pétersbourg pour plaider devant Catherine, à qui ces divisions fournirent le principal prétexte des violences dont M. Harris fut le témoin. Que M. Harris prît parti pour les dissidens, cela n’aurait rien qui pût surprendre; mais il est fâcheux de le trouver si dur pour les prélats catholiques qui résistaient à l’oppression étrangère. S’il témoigne avec raison son admiration pour le courage que déployait le prince Czartorisky, il se fût montré plus conséquent et plus juste en rendant le même hommage aux évêques de Cracovie et de Kiev, dont l’enlèvement ne lui inspire guère qu’un froid sarcasme. Dans son ardeur à défendre les dissidens, M. Harris nous semble trop oublier quelle était et quelle devait être bien longtemps encore la condition des catholiques en Angleterre et en Irlande. Lorsqu’on se fait l’apôtre de la tolérance, il faut commencer par la pratiquer, surtout lorsqu’on la ré-