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des premiers s’élevait à dix mille : je crois ce chiffre exagéré, mais je puis affirmer que l’on y rencontre des rues entières où l’on ne parle que français ; c’est là que l’on trouve tous ces magasins de luxe que font naître les besoins de la civilisation la plus raffinée, et surtout ce commerce de détail et de nouveautés où excelle le Parisien. Toute industrie qui exige du goût et du savoir-faire semble lui être exclusivement dévolue. La chaussure est la spécialité des Allemands. Les grandes maisons de commerce sont tenues par les Portugais. Les Italiens se sont réservé les petits saints de plâtre, les orgues de Barbarie, les pâtes alimentaires, etc.

Devant ce flot toujours croissant d’étrangers, il n’est pas de tradition, si tenace qu’elle soit, qui ne finisse à la longue par être entamée. Aussi la vieille physionomie portugaise tend-elle à disparaître ici de plus en plus. Le gaz commence à remplacer les lanternes huileuses, on enlève aux urubus une partie de leur besogne, les rues non pavées deviennent de plus en plus rares, çà et là on aperçoit des trottoirs, resserrés, il est vrai, car la disposition des lieux ne permet pas une plus grande largeur. Comme dans toutes les villes des pays chauds, les rues sont étroites, et il importe de livrer un moindre accès au soleil. Il en résulte quelquefois de graves inconvéniens : au solstice d’été, lorsque des avalanches d’eau s’abattent sur la cidade, les rues se changent en torrens et les rez-de-chaussée sont souvent envahis ; Bien que cette eau pluviale soit loin d’être froide, il faut cependant s’en défier. Un Allemand qui avait eu la fantaisie de se baigner dans le ruisseau qu’une trombe venait d’improviser devant sa porte, étant entré dans une venda avant de changer d’habits pour raconter ses émotions, qui lui avaient rappelé sa verte Germanie, se sentait pris de frissons pendant la nuit suivante et expirait le lendemain dans les étreintes de la fièvre jaune.

Tous les efforts que l’on fait pour assainir la ville restreindront-ils le chiffre de la mortalité ? Je n’ose trop l’espérer. La ceinture de montagnes qui entoure la cité forme comme un entonnoir au fond duquel l’action du soleil vient s’ajouter aux humides émanations de la terre et de l’Océan. En outre, depuis que la fièvre jaune a visité la côte orientale, il est resté comme des germes pestilentiels qui, au dire des anciens habitans, n’existaient pas avant l’arrivée de cette terrible maladie, et qui causent d’effroyables ravages chez les nouveau-venus. Je citerai d’abord la phthisie pulmonaire, qui emporte à elle seule le cinquième des malades, d’après un relevé fait dans les hôpitaux de Rio-Janeiro. Le plus fort contingent est fourni par les gens de vingt à trente ans, notamment parmi les Portugais. L’émigration explique du reste ce phénomène. C’est à cet âge qu’on