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je puisai le plus vif stimulant de mes efforts dans la satisfaction que je savais lui donner par mes succès, et depuis les distinctions nombreuses et signalées que j’ai obtenues ont perdu pour moi beaucoup de leur prix à ne l’avoir plus pour témoin. »

En quittant l’université, M. Harris alla voyager sur le continent.


« J’ai pris son journal, dit son petit-fils, au moment de sa visite à Berlin, où Frédéric le Grand, quoique déjà avancé en âge, régnait dans la pleine vigueur de son tyrannique et excentrique génie. Dans l’automne de 1768, M. Harris, par la protection de lord Shelburn, fut nommé secrétaire d’ambassade A Madrid sous les ordres de sir James Gray. En 1770, laissé chargé d’affaires en Espagne par son chef, il eut le bonheur d’entamer, sous sa responsabilité, l’affaire des îles Falkland. Il la conduisit avec tant de caractère et de fermeté que l’issue de ce différend, si honorable pour l’Angleterre, établit d’emblée sa réputation diplomatique, et lui fit obtenir l’année suivante, à l’âge de vingt-quatre ans, le poste de ministre à Berlin. Il demeura quatre ans à la cour de Frédéric II ; il y assista au partage de la Pologne, qui s’accomplit sans un effort et presque sans une parole de blâme de la part de notre gouvernement.

« En 1776, M. Harris donna sa démission, et, de retour en Angleterre, épousa la seconde fille de sir George Amyand, dont la sœur aînée était mariée à sir Gilbert Elliot, plus tard lord Minto. En 1777, M. Harris fut envoyé comme ministre à Saint-Pétersbourg, près de Catherine II. Il eut à y lutter contre la haine implacable que Frédéric portait à l’Angleterre et à ses ministres, et contre les fausses protestations d’amitié de l’impératrice pour un pays qu’elle se réjouissait de voir engagé avec la France dans une guerre dont l’ardeur, en occupant les deux gouvernemens, lui laissait le champ libre pour mûrir ses projets contre la Turquie.

Les deux courts ministères de M. Fox à cette époque, en raison de la faveur particulière dont cet homme d’état jouissait près de Catherine et de Frédéric, donnèrent à M. Harris un peu de répit; mais l’éloignement et le mépris que toutes les cours du Nord éprouvaient pour l’Angleterre vers la fin de la guerre d’Amérique et les ennuyeuses disputes de la ligue des neutres[1] rendirent sa mission excessivement pénible et pleine d’anxiété. Son esprit et son remarquable talent de conversation le mirent cependant plus avant dans la faveur personnelle de l’impératrice qu’aucun de ses collègues n’y put parvenir par sympathie politique. Cela, joint à l’amitié du prince Potemkin, lui permit de défendre son terrain et, suivant son expression, de combattre à armes égales. Sa conduite obtint la complète approbation des différentes administrations qui se succédèrent en Angleterre, et il reçut du roi l’ordre du Bain en 1780.

« Le climat de la Russie avait, en 1782, complètement ébranlé sa santé, et M. Fox lui donna en même temps la permission de revenir en Angleterre et le choix d’une mission en Espagne ou à La Haye. La première était une ambassade, l’autre un poste de second ordre; mais La Haye était alors le

  1. La neutralité armée de 1780.