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les montagnes et sur la mer, si le ciel fût resté serein, nous nous assîmes sur les pierres. Le chien se coucha à nos pieds, et nous dînâmes avec un appétit inconnu dans les régions inférieures de l’atmosphère. Une bouteille de vin de France fut vidée à la santé de tous les voyageurs, et laissée sous la pyramide avec nos noms et la date de notre ascension. Nous redescendîmes rapidement, mais la vallée nous sembla d’une longueur désespérante. Enfin nous parvînmes de nouveau au bord de la mer, et le canot qui nous avait amenés nous déposa sur l’embarcadère de Tromsoe. Nous y restâmes encore le lendemain, et nous eûmes toute la journée la satisfaction tardive et dérisoire de contempler la cime du Tromdalstind, qui se détachait sur l’azur d’un ciel sans nuages. Le jour suivant, nous partîmes pour Kaa-Fiord.

MM. Berna et Vogt suivirent un autre itinéraire, ils se dirigèrent vers le Lyngen-Fiord, où ils trouvèrent encore des Lapons, visitèrent un glacier et se livrèrent au plaisir de la chasse de divers oiseaux aquatiques. La conquête de faire d’un aigle perchée au sommet d’un rocher est un récit pathétique et pittoresque qui doit intéresser à la fois les ornithologistes et les chasseurs romantiques, dédaigneux du gibier de nos plaines cultivées. Je suis de leur avis. Dans ces chasses classiques, c’est aux chiens bien dressés que revient en définitive tout l’honneur. L’homme ne fait que tuer, affaire d’habitude, non d’intelligence.

Une visite à l’île Loppen, rocher isolé sur la mer, non loin de la côte norvégienne, donnera au lecteur l’idée d’un de ces îlots où les oiseaux marins, huîtriers, lummes, mouettes, guillemots, cormorans, pingouins, macareux, hirondelles de mer, eiders, etc., viennent pondre pendant l’été. Les escarpemens des rochers, formés d’assises superposées en retrait les unes derrière les autres, semblables aux galeries d’une salle de spectacle, sont couverts de femelles accroupies sur leurs œufs, la tête tournée vers la mer, aussi nombreuses, aussi serrées que des spectateurs le jour d’une première représentation. Devant le rocher, les mâles forment un nuage d’oiseaux volant au-dessus de la mer et plongeant pour chercher les petits crustacés qui sont la principale nourriture des couveuses. Décrire le bruit, les cris, l’agitation, le tourbillonnement de ces milliers d’oiseaux de taille, de couleur, d’allure, de voix si diverses, est complètement impossible. Le chasseur, étourdi, ahuri, ne sait où tirer dans ce tourbillon vivant; il est incapable de distinguer et encore moins de suivre l’oiseau qu’il veut ajuster. De guerre lasse, il tire au milieu du nuage, le coup part; mais alors le scandale est au comble, des nuées d’oiseaux perchés sur les rochers ou nageant sur l’eau s’envolent à leur tour, se mêlent aux autres; une immense clameur discordante s’élève dans les cieux. Loin de se dissiper, le