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sont peu à peu remplacées par des flaques de neige qui deviennent de plus en plus grandes. Enfin, à l’horizon, les sommets du Sneehaetten et du Skreahoeg, couverts d’une neige éblouissante. L’aspect n’en est pas imposant : la base de la montagne se confond avec le plateau, et le sommet est trop uniformément rectiligne. L’ensemble toutefois est remarquable. Le Sneehaetten forme comme un immense amphithéâtre, un cirque, un cratère de soulèvement, dont la paroi occidentale, celle qui regarde Jerkind, se serait écroulée. Le fond du cratère est complètement rempli de neige, et les ombres projetées sur sa surface immaculée prouvent que les parois sont verticales : au dehors, l’inclinaison n’est pas forte, et d’une manière générale le Sneehaetten ressemble à un cône creux et tronqué.

« Un troupeau de rennes avait été signalé dans la montagne ; M. Berna, accompagné de M. Hertzen, de son chasseur bohémien et de deux Norvégiens, résolut de les poursuivre. Après une course de quatre heures à cheval, pour arriver au pied de la montagne, on se mit en marche : tantôt il fallait sauter de ploc en bloc, puis marcher dans la neige, recouverte d’une mince croûte de glace qui se brisait sous nos pas et nous écorchait les jambes. Tout à coup Érick le Norvégien se blottit derrière un bloc de pierre et nous fait signe de l’imiter: il avait aperçu un petit troupeau de rennes et nous désignait de la main la direction dans laquelle ils se trouvaient ; mais les yeux d’un Norvégien pouvaient seuls les apercevoir. Le pelage des rennes est gris, comment les distinguer des blocs gris au milieu desquels ils étaient couchés ? En se servant de sa longue-vue, M. Berna craignait de trahir sa présence. Il s’agissait de s’approcher des rennes en se tenant sous le vent et sans éveiller leur attention. On résolut de faire le tour de l’escarpement au pied duquel ils étaient couchés, de gagner la crête et de les ajuster du haut de ce rempart naturel. La manœuvre fut bien exécutée, et nous vîmes réunis cinq rennes : un mâle, la tête ornée de son bois majestueux, deux femelles et deux petits. Pendant deux heures, les chasseurs ne bougèrent pas, espérant voir arriver les rennes à portée de fusil ; patience inutile, les rennes avaient flairé l’ennemi, et le mâle s’enfuit vers un petit lac gelé : la glace se rompt sous lui, il plonge dans l’eau, cherchant à se cramponner avec ses pieds de devant. Les chasseurs accourent sur la neige, espérant le tirer dans cette position ; mais avec un élan que la peur avait rendu irrésistible l’animal remonte sur la glace et disparaît en faisant des bonds prodigieux, suivi du petit troupeau, qui, immobile auparavant, le regardait avec anxiété pendant qu’il se débattait dans le lac. En quelques instans, les rennes étaient arrivés à l’autre extrémité de l’amphithéâtre, où ils semblaient de petits points noirs semés sur un champ de neige. »

Les chasseurs ne désespèrent pas, ils recommencent à sauter de