Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/82

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

patron, lui, ne s’était pas trompé : pendant que je m’épuisais en vaines poursuites, il avait fait rentrer le troupeau dans l’étable, et dès qu’elles me revirent, les pauvres bêtes accoururent vers moi. Vous comprenez, senhor, que quand on a un aussi bon saint, on doit tenir sa promesse, au lieu de faire comme certains que je connais, qui ont l’habitude d’oublier leur vœu quand le danger est passé.

Telle est la crédulité qui règne encore parmi les noirs de Bahia. Cette naïveté, qui n’exclut pas toujours une violence farouche, est un héritage des premiers temps de la société formée par les conquistadores. Cette antique physionomie brésilienne, si vivement empreinte à Bahia, s’accentue davantage encore à mesure qu’on s’éloigne de la côte. Avant de quitter cette vieille civilisation du Brésil pour observer à Rio-Janeiro les premières manifestations d’une vie nouvelle, peut-être voudra-t-on contempler la cidade brésilienne dans un état moins avancé encore qu’à Pernambuco ou à Bahia, sous l’aspect qu’elle offre dans l’intérieur du pays, et surtout dans les provinces jadis exploitées par les mineiros. C’est là, c’est à Ouro-Preto, Goyaz, Cuyaba, etc., que les traces du passé subsistent plus profondes et plus vivaces. Là plus de bourse, plus de théâtres, plus de musées. Des masures de terre suffisent aux habitans, des couvens en ruine remplacent les écoles ; une population restée à demi sauvage par le croisement des races et l’isolement où elle vit grouille dans ces murs lézardés, sans industrie, sans aucune notion de bien-être. Les sites les plus dévastés des Abruzzes ou des Calabres peuvent seuls donner une idée de l’aspect de ces lieux jadis si florissans. Les créoles n’y luttent plus que d’ignorance et de fainéantise. Les églises même, élevées par la piété des anciens fondateurs, sont aujourd’hui pour la plupart aussi délabrées que les habitations des plus simples particuliers. On se croirait quelquefois dans un de ces grands villages des Cordillères périodiquement visités par les tremblemens de terre. Certaines villes où le passage des caravanes entretient quelque activité, comme São-João-del-Rey, sont quelquefois celles qui attristent le plus les Européens. Il est vrai que la grossièreté des habitans s’explique par leur origine. Les premiers colons de ces provinces étaient des paysans venus des montagnes du Portugal. Enrichis par le commerce, ils n’ont su tirer aucun parti de leur changement de fortune, et sont restés ignorans, avec la morgue de plus. Les muletiers, qui forment presque toute leur clientèle, sont peu faits pour leur inspirer des notions de bien-être et de progrès. Quand parfois ces Portugais de la vieille roche essaient, pour célébrer une fête, d’improviser un drame, on ne peut s’empêcher de sourire à ce spectacle où se mêlent