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suivant : « Ah ! filho da… (fils de…), c’est ainsi que tu prends souci de mes esclaves ! C’est de cette manière que tu me paies des soins que j’ai pour toi et des cierges que je t’achète ! Je vais t’apprendre à vivre ! » Après cette correction, il le jette dans le réduit le plus obscur de sa maison, parmi les ordures qui emplissent la plupart des demeures portugaises, et lui déclare qu’il est condamné à vivre dans ce chenil jusqu’à ce que l’esclave soit retrouvé. Si le retour du fugitif se fait attendre, le maître perd patience, brise son idole d’un coup de pied, et se choisit immédiatement un autre patron plus puissant et plus actif ; mais si le noir reparaît, il la replace aussitôt dans sa niche, lui demandant pardon d’avoir été un peu emporté, et lui achète force cierges pour lui faire oublier le passé et pour continuer de mériter sa protection.

Les nègres prennent ordinairement pour patron un saint de leur couleur, saint Bénédict, sur lequel ils racontent des histoires merveilleuses. Ce Bénédict était de son vivant chef de cuisine dans un couvent. Naturellement porté, comme tous ses compatriotes, vers la vie contemplative, il assistait en cachette à tous les offices des moines, et se laissait quelquefois tellement absorber dans ses oraisons mentales qu’il en oubliait ses fourneaux. Les anges, touchés de sa piété, faisaient sa besogne, afin que la communauté n’eût pas à souffrir de ses extases. La première fois que j’aperçus ce saint patron des nègres dans un oratoire, je crus voir un diable, tant la grimace que l’artiste lui avait prêtée, sans doute par un scrupule exagéré d’exactitude, était effroyable. Quand un homme est trop pauvre pour construire un oratoire dans sa hutte, il prend mentalement le patron de son voisin, et lui vote des cierges dans les momens pressans, afin d’obtenir son intercession. Dans une fazenda des environs de Bahia, je vis un pauvre mulâtre apporter dans le sacrarium de son maître 10 milreis (25 francs), qui représentaient toutes ses économies, pour remercier le saint de lui avoir fait retrouver ses cochons, qu’il avait perdus la veille. Je le priai de me conter son aventure.

« — Senhor, me répondit-il aussitôt, c’est un saint bien puissant et bien bon pour les pauvres gens que saint Antoine. Figurez-vous qu’hier, quand j’allai voir mes pauvres bêtes, elles avaient disparu. Ce ne pouvait être que par suite d’un maléfice, car elles ne s’écartent jamais de leur étable. Je fis vœu d’offrir à mon protecteur tout l’argent que je possédais, s’il me les faisait retrouver, et, plein d’espoir, je me dirigeai au hasard vers le premier chemin que je rencontrai, appelant mes animaux de tous côtés. Voyant que mes recherches étaient inutiles, je pensai que ce n’était pas la bonne direction, et je revins sur mes pas pour en prendre une meilleure ; mais mon