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moyens très restreints d’un théâtre de famille devait s’attacher plus particulièrement à développer, après une certaine transformation permise, les caractères si bien ébauchés et si heureusement indiqués par Hoffmann. Il ne nous était pourtant pas possible de supprimer absolument le merveilleux, et, tout en nous bornant à ce qui était réalisable sur une très petite scène, nous avons fait intervenir les esprits familiers dans cette évocation qui est le début du roman de Pérégrinus. Ce point de départ nous a suffi pour imaginer un ensemble d’action et une succession de scènes intimes qui ont intéressé quelques artistes autour de nous, et qui leur ont paru dignes d’être bien dites et bien écoutées. Ceci, il ne faut pas l’oublier, n’ayant pas la prétention d’être un ouvrage de théâtre, permet une liberté absolue quant à l’interprétation de la charmante énigme d’Hoffmann, et souffre des développemens qui valent ce qu’ils valent, mais qui ne peuvent rien gagner et rien perdre à la lecture. Tout ce qui a été ingénieusement produit à la représentation, la scène des jouets d’enfant, l’apparition des petits animaux, l’audition de leurs petits bruits mystérieux, etc., eût fait honneur à la science du Leuwenhoek de Maître Floh; mais l’effet de ces moyens inusités n’était dû qu’à la petitesse du théâtre, à la proximité du spectateur et à l’invention du metteur en scène. C’est pourquoi nous les avons fait apparaître dans notre texte sous la forme descriptive, non pas de la même manière qu’ils apparaissent dans les rêves prodigieux d’Hoffmann, mais sous l’impression que cette vision naïve nous a laissée.

Ce que l’art général pourrait gagner à ces essais particuliers, c’est, en supposant que de nombreux essais fussent tentés sur plusieurs points, le goût que le public pourrait prendre, en détail, pour un genre de théâtre très intime, très soigné et très étudié, où certains développemens d’idées, confiés à des artistes délicats en présence d’auditeurs choisis, saisiraient l’attention et charmeraient l’esprit, le cœur ou l’imagination sans avoir recours à des moyens et à des effets d’une grande puissance. Ces grands moyens et ces grands effets seront toujours nécessaires aux grands théâtres, et l’on se préoccupe surtout aujourd’hui de rendre ceux-ci propres à contenir des foules et à produire des illusions grandioses. Cela est fort bien vu, mais en même temps nous aimerions à voir la conservation et même la création de nombreux petits théâtres qui rivaliseraient d’invention dans tous les genres, et qui garderaient les traditions de l’art intime. Plus nous élargirons les scènes, plus nous reculerons les spectateurs, et plus nous perdrons les effets que la vérité peut produire. Nous aurons de grands artifices, mais l’auteur aussi bien que les interprètes, forcés d’agir sur une multitude et dans un lointain, devront renoncer à leurs vrais moyens individuels pour recourir à des moyens d’emprunt d’une généralité banale ou d’un emploi funeste. On saura de plus en plus comment le mot, la situation, l’effet, la physionomie, le geste, la voix, doivent porter aux extrémités d’une vaste enceinte; mais devant cette nécessité qui nous mènera