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pieuses, en des heures de découragement, exprimer ainsi leur douleur, et ces figures désolées se sont représentées à mon esprit quand j’ai vu M. Rosseeuw Saint-Hilaire s’adresser aux catholiques non satisfaits.

Ainsi voilà deux groupes d’âmes à qui s’attaque l’impatient apôtre, les unes religieusement troublées, les autres chrétiennement inquiètes; or M. Rosseeuw Saint-Hilaire, qui croit posséder le moyen de les guérir, ignore-t-il donc que parmi les protestans eux-mêmes, en France, en Angleterre, en Allemagne, l’armée des âmes non satisfaites va grossissant de jour en jour? Il est impossible de ne pas admirer la foi de M. Rosseeuw Saint-Hilaire lorsqu’on songe au moment qu’il a choisi pour essayer de convertir la France au protestantisme. Heureux éblouissement de cette âme toute chrétienne ! Il n’a pas vu la critique du XIXe siècle ébranler les fondemens de son église, il n’a pas vu la Bible bouleversée, l’inspiration divine méconnue, les feuilles saintes lacérées et dispersées au vent; il n’a pas vu le désespoir s’emparant des âmes les plus nobles; ce pasteur si doux, si pieux et comme plongé dans une adoration perpétuelle, il ne l’a pas vu lutter contre le doute, puis sortir de l’église en pleurant et raconter ses angoisses en des pages déchirantes; cet autre, jusque-là si altier dans sa foi, il ne l’a pas vu s’éloigner du temple où l’on chante encore ses cantiques, il ne l’a pas entendu regretter l’époque antérieure à la réforme et s’écrier admirablement : « L’autorité de l’église, entendue dans le sens un peu flottant où on la prenait avant Luther, laissait aux manifestations de la vie religieuse une liberté dont on ne saurait assez déplorer la perte. L’église catholique d’autrefois avait un esprit plus libéral et, si j’ose me servir de cette expression, une plus grande force plastique que les sociétés religieuses issues de la réformation. Il y a quelque chose de plus humain et de plus divin tout à la fois, quelque chose de plus acceptable pour la pensée et de plus séduisant pour l’imagination, dans l’idée d’une vaste institution animée de l’esprit d’en haut, et, sous l’action de cet esprit, se développant selon les circonstances, se prêtant aux mouvemens et aux besoins de l’humanité, — il y a là, dis-je, quelque chose de plus grand et de plus vrai qu’une doctrine d’après laquelle l’esprit de Dieu est comme relégué et captif dans une lettre morte. » Ce trouble de tant d’esprits éminens, ce désarroi de tant de consciences pures, n’a pas ému l’ardent apôtre du protestantisme; il croit encore que son église possède la guérison spirituelle du genre humain, et il dit à la France : « Viens à nous! hors de notre communion, point de salut pour toi! » Certes M. Rosseeuw Saint-Hilaire n’emploie pas littéralement cette formule qui est celle des siècles ténébreux; c’est bien là pourtant le résumé de sa pensée, et l’on s’étonne de voir cette préoccupation excessive des formes extérieures chez une âme tout évangélique.

Une des conséquences de cette illusion, c’est que l’apôtre, assez fort pour arracher des âmes à la tradition catholique, ne le sera point assez pour les retenir dans le christianisme. Il ne fera pas le bien qu’il espère, il fera le mal qu’il veut combattre. M. Rosseeuw Saint-Hilaire dit avec autant d’esprit que de vigueur : « Il n’y a que ceux qui ne veulent point de religion qui ont peur d’en changer, parce qu’en changer pour eux ce serait en prendre une. » Rien de plus vrai, et voilà toute une catégorie d’esprits, la plus nombreuse par malheur, qui lui échappe. Supposez qu’il les atteigne, il ne