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prompte protestation de l’Autriche a châtié cette jactance et déjoué cette manœuvre, A la confusion de la politique russe, elle a révélé à l’Europe que la contre-proposition du prince Gortchakof n’était pas sérieuse ; elle nous a appris qu’en s’opposant à la proposition longtemps et mûrement délibérée et concertée des puissances, la cour de Pétersbourg s’était permis de répondre par un projet en l’air, et n’avait pas seulement pris la peine d’interroger les cabinets auxquels elle fixait arbitrairement un rôle dans sa combinaison aventureuse. La tactique de la diplomatie russe n’a donc abouti qu’à un pitoyable échec, et cette diplomatie n’a pas même l’excuse d’avoir apporté dans la négociation le sérieux que demandaient et la gravité des circonstances et la position de ses interlocuteurs dans le monde.

Que reste-t-il aujourd’hui du fracas des dépêches russes? La Russie a refusé l’armistice; sa contre-proposition de conférence à trois ne mérite pas même d’être discutée, puisqu’elle n’a jamais eu de consistance et n’a été qu’une boutade inconsidérée. En somme par conséquent, la Russie ne propose rien; elle refuse purement et simplement la conférence à huit. Ainsi il ne reste de ces dépêches que des refus, que la dénégation du droit qu’ont les signataires des traités d’en exiger l’exécution, et un langage passionné qui blesse tout le monde. Il en reste surtout l’isolement de la Russie en face de la France, de l’Angleterre et de l’Autriche, dont le concert doit être plus étroitement resserré, et par les efforts maladroits que la Russie a faits pour les diviser, et par les griefs communs qu’elle leur a fournis. Nous espérons que les réponses identiques des cabinets de Paris, de Londres, de Vienne, aux dépêches russes, ne tarderont point à donner à l’Europe la démonstration consolante et rassurante de l’isolement de la Russie en face des grandes puissances unies. Nous croyons que l’impression produite par les dépêches russes a mis un terme aux irrésolutions du gouvernement anglais. L’Autriche vient de prouver à son honneur qu’il est permis de compter sur elle. Tout le monde a compris les causes des hésitations de l’Autriche; ces hésitations se sont manifestées quelquefois par des actes regrettables : telles sont par exemple les arrestations d’un trop grand nombre de Polonais marquans, des princes Sapieha et Radziwill, du comte Borkowski, du député prussien Bentkowski, des députés autrichiens Wodzicki et Ziemalkowski, mesures sévères et impolitiques où se trahit l’esprit persistant de la vieille bureaucratie. Le parti bureaucratique, uni en cela aux Slaves entraînés vers le panslavisme russe, demeure encore en effet l’élément autrichien hostile à la cause polonaise. Cette cause a pour elle en revanche ce qu’il y a en Autriche de plus vivace, le parti militaire, le parti libéral allemand, la famille impériale. Les événemens de Pologne avaient dans le principe désagréablement surpris M. de Schmerling, qui redoutait que l’œuvre des institutions parlementaires, à laquelle il attache si honorablement son nom, n’en fût troublée et dérangée; à mesure que la situation se développait, M. de Schmerling n’a pas ou de peine à comprendre que le progrès libéral de l’Autriche serait bien plus gravement