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brosser ou laver en passant ce membre entre ses mâchoires et sa langue, et la toilette se complétait par un petit coup de balai amicalement donné aux antennes. »


L’éciton prœdator, l’éciton aveugle, l’éciton crassicornis, l’éciton vastator, l’éciton erratica, nous fourniraient encore de curieux détails, sans parler de ces mouches du genre stylogaster, qui suivent les armées d’écitons pour loger leurs œufs dans le corps mou des insectes que ces terribles fourmis ont chassés de leurs abris obscurs ; mais nous ne pouvons suivre plus longtemps les explorations de l’ingénieux et patient naturaliste. Nous le laisserons donc quitter Ega le 3 février 1859 et rentrer le 17 mars à Pará, qu’il n’avait pas revu depuis sept ans et demi.

Pendant ce laps de temps, la population s’était accrue ; les émigrans portugais et allemands affluaient dans la ville embellie, le commerce grandissait, les habitudes s’étaient modifiées ; on allait moins souvent à l’église, plus fréquemment au bal et au concert ; les libraires étaient plus nombreux, et dans un bel édifice tout neuf venait de s’installer un magnifique cabinet de lecture. Quatre journaux quotidiens alimentaient autant d’imprimeries, toutes de création récente. Le revers de la médaille, c’est que Pará, qui en 1848 était une des résidences américaines où l’on pouvait vivre au meilleur compte, était en 1859 une des plus chères. Le plus misérable logis, un taudis de deux chambres dépourvues de tout mobilier, se louait près de 500 francs par an ; les domestiques étaient hors de prix, et c’est tout au plus si M. Bates peut pardonner aux progrès de la civilisation le tribut qu’ils prélevaient sur sa bourse. Il partit enfin le 2 juin 1859, donnant un démenti au proverbe national, qui atteste à la fois les séductions de Para et la justice que leur rendent ses habitans. « Celui qui va à Pará y reste, » disent-ils[1]. M. Bates n’y resta pas, il est vrai ; mais on peut s’apercevoir que, malgré les misères accidentelles de sa vie sous les tropiques, il a gardé de ce magnifique pays un excellent souvenir. Il est bien difficile de ne pas le comprendre, pour peu qu’on se laisse aller au charme sympathique des intéressans récits qu’il lui a consacrés.


E.-D. FORGUES.

  1. Quem para (o) Para, para.