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ses rapports avec quelques Européens qui, descendus tour à tour des Andes sur le bord du fleuve des Amazones, se fixèrent définitivement à l’Ega. Trois étaient Français, deux étaient Italiens, et quelques-uns avaient reçu les bienfaits d’une éducation complète. Il y en eut trois qui finirent par épouser des femmes indiennes.

Les observations que M. Bates fit à Éga, y compris celles que nous devons à ses expéditions sur la rivière Teffé, les îles sablonneuses du Solimöens, etc., sont les plus intéressantes qu’il ait consignées dans son livre. C’est là qu’il a pu étudier tout à loisir les mœurs des Indiens Passès, moins énergiques, moins habiles que les Mundurúcus, mais dont il vante les bonnes qualités, le calme domestique, l’existence bien réglée, les habitudes affectueuses et l’hospitalité toujours prête. C’est là qu’il a fait en grand la pêche des tortues, soit tracajás, soit aiyassás[1], qu’il décrit en détail et d’une manière tout à fait pittoresque. C’est là qu’il a étudié tour à tour le singe à face rouge[2] ou à face de hibou[3], l’oiseau parapluie[4] (cephaloptenis ornatus), dont la tête porte un véritable parasol, et le cou un boa de plumes bleues dont l’extrémité pend sur la poitrine, le kinkajou (le jupurá des Indiens, le cercoleptes caudivolvus de la zoologie), ce lémure si curieux et si rare, la chauve-souris-vampire, si parfaitement inoffensive malgré son nom sinistre, les cinq espèces du toucan et plus spécialement le pteroglossus Beauharnaisii à la crête bouclée ; mais ce sont surtout les richesses entomologiques de cette contrée opulente qui ont surpris le naturaliste. Sans sortir d’Ega et de ses alentours, il a classé jusqu’à deux cent cinquante espèces de papillons différentes l’une de l’autre, et dans le même rayon les insectes ont fourni jusqu’à sept mille espèces au catalogue qu’il a eu la patience de dresser. Il a trouvé là des bombycides du groupe lithosien, qui logent leurs chenilles dans de belles bourses en soie rose qu’on rencontre à chaque instant dans les étroits sentiers des forêts, suspendues à l’extrémité d’une feuille d’arbre par un fil très fort, de cinq à six pouces de long. Le tissu de cette espèce de tricot est assez solide pour résister au bec des oiseaux insectivores, et l’état de suspension où

  1. Podocnemis expansa est le nom savant de cette espèce de tortue, cataloguée au British Museum.
  2. Les Indiens l’appellent uakari. Cet animal appartient à la famille des cebidœ, qui compte sept genres et trente-huit espèces.
  3. L’ai-à des Indiens, le nyctopithèque des naturalistes. Singe nocturne qui dort le jour, et dont la face encadrée de fourrure blanche rappelle aussi bien le chat-tigre que le hibou.
  4. C’est l’uira-mimbeu, l’oiseau-fifre des Indiens, qu’ils ont ainsi qualifié à cause de la ressemblance de son chant avec le son des grossières flûtes de Pan (mimbeu) dont se servent les Caishanas et autres tribus.