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les Brésiliens du sud montrent un esprit plus énergique et des penchans plus industrieux que ceux du nord. Ceux-ci se contentent d’une nourriture que les mendians anglais trouveraient insuffisante. La plus grande partie de leur existence est consacrée à jouir de l’oisiveté voluptueuse que leur fait ce magnifique climat et aux fêtes gratuites que leur prodiguent à l’envi les agens du gouvernement et les citoyens les plus riches, ces derniers dans des vues électorales. En effet, le président de la province, investi de toute l’autorité civile, et parfois aussi, mais exceptionnellement, des pouvoirs militaires, est nommé, avec le chef de la police et les juges, par le gouvernement central de Rio-Janeiro ; mais les affaires municipales et provinciales sont réglées par une assemblée populaire. Toute ville, toute bourgade possède aussi son conseil municipal, et dans les districts où la population est trop dispersée, trop peu nombreuse pour le fonctionnement des tribunaux réguliers, les habitans choisissent tous les quatre ans un juge de paix qui décide sommairement et en dernier ressort de tous les menus litiges soulevés entre voisins.

Ainsi qu’il arrive dans les pays où l’élection est remise aux mains du plus grand nombre, la nécessité d’instruire le peuple s’est impérieusement fait sentir. Il n’est pas de village dans cette région lointaine qui ne possède son école primaire, dont l’instituteur reçoit de l’état le même traitement que les prêtres, c’est-à-dire environ 1,800 francs. Outre ces écoles populaires, il existe à Pará une sorte d’université où la plupart des grands planteurs et trafiquans de l’intérieur font compléter l’éducation classique de leurs enfans. Tous les quatre ans, la province élit ses représentans pour les deux chambres du parlement impérial. La plus chétive propriété donne droit au vote, ce qui rend le suffrage à peu près universel. Le jury fonctionne en ce pays comme en Angleterre, à peu près sous les mêmes conditions d’aptitude, et les jurés sont pris parmi les possesseurs d’immeubles, sans acception de race ou de couleur. Le négociant blanc, le laboureur nègre, le mameluco[1], le mulâtre et l’Indien siègent ensemble côte à côte sur le même banc, ce qui ne laisse pas de causer quelque surprise à l’Européen nouvellement débarqué. La constitution politique du Brésil paraît, en somme,

  1. Le mameluco est le sang mêle de race blanche et de race indienne. Le sang blanc et le sang noir donnent le mulâtre. Le sang nègre et le sang indien donnent le cafuzo. Le croisement du cafuzo et de l’Indien donne le curriboco ; celui du cafuzo et du nègre donne le xibaro. Comme il règne un certain vague dans la nuance des diverses couleurs obtenues par tous ces mélanges, ces différens noms ne s’appliquent que par approximation. Le mot creolo ne désigne que les nègres nés dans le pays. L’Indien civilisé s’appelle tapuyo ou caboclo.