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zone du littoral entre Dax et Mimizan. Cent millions de grands pins, dix millions de chênes frémiront au vent sur ce plateau désert que recouvraient autrefois des plantes sauvages et des mares d’eau croupissantes.

L’essence choisie presque à l’exclusion de toutes les autres par les sylviculteurs des landes est le pin maritime. En cela du reste, ils n’ont fait qu’obéir aux traditions immémoriales du pays, car, aussi loin que remonte l’histoire dans les âges passés, on voit les landais s’occuper de la culture du pin, et l’on a découvert en plusieurs endroits, sous d’épaisses couches de tourbe, des troncs portant encore les incisions du résinier. La facilité de culture, l’abondance des produits du pin maritime expliquent aussi la faveur dont jouit cet arbre utile. En effet, de dix à vingt-cinq ans, les semis, qu’on éclaircit périodiquement, fournissent des échalas, des poteaux de télégraphes, des pieux pour le soutènement du plafond des mines. A vingt ans déjà, quelques arbres devenus assez forts peuvent être entaillés sans risque; toutefois on attend le plus souvent que les pins soient âgés de vingt-cinq ans pour les mettre en production. En donnant, année moyenne, près de deux bouteilles de résine, le pin peut vivre un siècle et au-delà; mais de temps en temps on entaille à mort les troncs défectueux pour ne laisser que les plus beaux. Les souches de pins abattus servent à fabriquer du goudron, et les tiges elles-mêmes sont employées comme bois de charpente ou de menuiserie. On voit que tout peut être utilisé dans ces arbres précieux. En temps ordinaire, l’hectare de pins rapporte de 60 à 70 francs chaque année.

L’ne cause toute temporaire contribue en ce moment à donner une valeur exceptionnelle aux bois de pins. Cette cause, c’est la guerre civile de la république américaine. Il y a trois ans, les forêts de pins du versant oriental des Apalaches fournissaient toutes les qualités supérieures de térébenthine, de colophane, de goudron, et, grâce à l’excellence de leurs produits, avaient conquis le monopole des principaux marchés de l’Europe. Les résines des landes, souvent impures et mal préparées, n’avaient pas d’acheteurs à l’étranger, et même en France devaient lutter contre les produits similaires des États-Unis. Soudain la guerre a causé dans le commerce des matières résineuses une révolution analogue à celle des cotons. Les propriétaires landais se sont trouvés riches tout à coup. La barrique de gemme ou de résine molle, qui se vendait de 40 à 45 francs, a quadruplé de valeur; en beaucoup d’endroits, le revenu annuel d’un hectare de pins a dépassé le prix d’achat; les simples résiniers auxquels on abandonnait autrefois la moitié de la récolte, et qui n’en reçoivent maintenant que le tiers, sont devenus eux-mêmes de