Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/684

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pluie pendant l’automne et l’hiver. Dépourvus de toute instruction, ils suivaient religieusement l’antique routine de leurs aïeux et considéraient les innovations agricoles comme d’abominables attentats. Leurs mœurs étaient patriarcales : ils vivaient par familles ou par groupes de familles formant de petits dans de huit à trente personnes gouvernés par un chef. Lorsqu’il y avait plusieurs frères, on tâchait de sauvegarder tous les intérêts particuliers par une certaine division des pouvoirs. L’aîné prenait en main la direction de la culture, l’administration des finances et l’autorité disciplinaire; en revanche la femme du cadet était reine du ménage et commandait à ses belles-sœurs. Si le frère aîné venait à mourir, le cadet lui succédait comme chef de la famille, et la veuve prenait à son tour la direction de l’intérieur au détriment de la précédente ménagère : ainsi l’exigeaient les coutumes respectées des temps passés.

Les cabanes, assez vastes, mais très basses, des anciennes fermes sont toujours signalées au loin par de grands chênes qui semblent d’autant plus imposans qu’ils sont isolés au milieu de la lande horizontale et monotone. C’est à l’ombre de ces arbres, plantés sans doute par respect pour la vieille tradition gauloise, que les fermiers se rassemblent le soir et se reposent des fatigues de la journée. Le branchage des chênes absorbe en partie les émanations malfaisantes qui s’échappent des landes non assainies; mais cet obstacle ne suffit pas pour arrêter tous les miasmes au passage et les empêcher de faire leur œuvre de mort. Les fièvres intermittentes ou mêdoquines sont extrêmement communes dans les landes de Bordeaux et donnent à presque tous les habitans du pays des yeux caves, un teint blafard, des membres grêles, qui les distinguent bien tristement de leurs frères les Béarnais, si gais, si souples et si dispos. Naguère un cinquième des landais du Médoc étaient alités pendant les mois d’août et de septembre. Les résiniers seuls étaient à l’abri de la médoquine, grâce à l’air pur de leurs forêts. Une hideuse maladie, connue sous le nom de pellagre (peau aigre), sévit aussi dans la contrée, et fait annuellement de nombreuses victimes. Les mains et les pieds, exposés beaucoup plus que les autres parties du corps aux alternatives de la chaleur, du froid et de l’humidité, sont attaqués d’une sorte de lèpre qui réagit sur l’organisme et finit par emporter le patient. Pour le soulagement ou la guérison de ces maladies, les landais, ne pouvant faire appel au médecin inconnu d’une ville éloignée, devaient se contenter des remèdes indiqués par la routine et des incantations des vieilles femmes, toutes adeptes d’une magie grossière. Le plus souvent ils avaient recours aux saignées, et même lorsqu’ils étaient guéris ils se faisaient tirer une palette de sang tous les mois par simple mesure d’hygiène. Dans les cas graves, ils demandaient le secours des sorciers de profes-