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fait de ces centaures américains une classe d’hommes distincte de toutes les autres par les mœurs et le caractère, de même l’habitude qu’ont les Lanusquets de passer une grande partie de leur existence sur des échasses doit certainement exercer à la longue une influence considérable sur leur moral. Quelle est cette influence ? Il serait hasardeux de vouloir la déterminer d’une manière précise. Peut-être les pâtres landais ajoutent-ils à la résignation ordinaire du berger une fierté calme et un scepticisme railleur; mais en tout cas il est certain qu’ils se distinguent par une grande sauvagerie. Nombre d’entre eux semblent avoir une espèce d’horreur des étrangers, et quand ils aperçoivent un voyageur se dirigeant vers eux, ils se hâtent de fuir dans la solitude à grandes enjambées.

Les habitans des forêts de pins qui s’étendent principalement sur le pourtour du plateau triangulaire des landes du Médoc ont également des mœurs toutes particulières, déjà connues du poète Ausone et de ses amis. Le résinier, — c’est ainsi qu’on appelle l’homme chargé de recueillir la résine des pins, — est resté en beaucoup d’endroits un véritable sauvage que la civilisation moderne semble avoir laissé tout à fait à l’écart. Tenant une hache dans sa main droite, il applique de la main gauche contre le tronc d’un pin son échelle, composée d’un seul montant sur lequel il a pratiqué de petites marches transversales, puis il grimpe comme un écureuil, et, s’appuyant d’un pied sur l’échelon, de l’autre sur la rugueuse écorce de l’arbre, il fait avec sa hache ces longues carres, ces entailles d’où la résine doit perler goutte à goutte. Ensuite il saute d’un bond au pied de l’échelle et fuit rapidement à travers l’ombre de la forêt pour attaquer de sa hache un autre tronc à dix pieds au-dessus du sol. De loin, on croirait entendre les coups sonores produits par les becs des piverts qui sondent l’écorce des arbres pour y découvrir des insectes. Le résinier, dressé à son état depuis l’enfance, finit par devenir aussi habile à grimper sur les arbres que les aborigènes de la Nouvelle-Hollande; mais comme eux aussi il est sombre, défiant et taciturne. Son vocabulaire de mots patois était jadis d’une grande pauvreté, et, comme celui des narvies ou terrassiers anglais de la classe la plus infime, ne dépassait probablement pas quelques centaines de termes. Sa demeure était le plus souvent une véritable tanière construite en troncs d’arbres et revêtue de branches.

Quelques métayers, habitant à de grandes distances les uns des autres, constituaient naguère, avec les bergers et les résiniers, toute la population des landes proprement dites. Ils cultivaient le maïs, le millet, le seigle dans les terrains inclinés qui avoisinent le bord des ruisseaux, et où ils n’avaient à craindre ni la dessiccation du sol à l’époque des grandes chaleurs, ni le débordement des eaux de