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commencement du siècle le soin de creuser de distance en distance des crastes d’écoulement qui reçoivent le trop-plein des eaux et les portent soit aux ruisseaux de l’intérieur, soit aux étangs du littoral. Bien souvent, en automne et en hiver, le simple piéton doit traverser à gué des nappes d’eau qui s’étendent à perte de vue entre les massifs de bruyères.

Il y a peu d’années encore, la force de la routine était trop grande, l’argent trop rare, la population trop clair-semée, pour qu’il fût permis d’espérer l’annexion de ce plateau désolé au domaine agricole de la France. A part un nombre très restreint d’exceptions honorables, les propriétaires des landes ne s’occupaient aucunement d’assainir le sol, et, le voyant alternativement inondé par les pluies d’hiver et desséché par le soleil d’été, ils croyaient que toute culture y était impossible. Suivant l’exemple de leurs ancêtres, ils se contentaient d’élever de maigres brebis qui se glissaient à travers les broussailles en accrochant leurs toisons, et broutaient au passage les tiges des jeunes bruyères. On a calculé qu’en certains endroits 4 hectares, c’est-à-dire un terrain qui subvient d’ordinaire à la subsistance de toute une famille, suffisaient à peine pour faire vivre un seul mouton. Encore fallait-il de temps en temps renouveler les pâturages : quand l’eau avait disparu du sol et que la chaleur du soleil avait commencé à dessécher les plantes, les pâtres landais mettaient le feu aux brandes, afin qu’après l’incendie une nouvelle végétation d’herbe plus tendre reparût sous les cendres et les débris calcinés. Malheureusement la flamme, poussée par le vent, envahissait parfois toute la plaine, et consumait en même temps les bruyères et les forêts de pins[1]. De même les pasteurs arabes des montagnes de l’Algérie ont souvent causé la destruction de vastes forêts de chênes-lièges en mettant le feu aux herbes sèches de leurs pâtis.

Les bergers des landes se distinguent, on le sait, par leur étrange habitude de se promener et de passer la plus grande partie de leur vie sur des échasses, à un ou deux mètres plus haut que les autres hommes. Sous ce rapport, les Lanusquets[2] sont uniques dans le monde et, si je ne me trompe, dans l’histoire de l’humanité tout entière. Il est probable aussi qu’eux-mêmes n’ont point adopté cet usage avant les siècles du moyen âge, car les auteurs anciens, qu’une pareille coutume était de nature à frapper singulièrement, n’en font mention nulle part. Le nom patois de chanque donné aux échasses semble même préciser l’époque de leur mise en pratique

  1. Il y a quelques jours à peine, un incendie dévorait entre Hourtin et La Canau une forêt de plusieurs kilomètres carrés de superficie.
  2. C’est le nom qui désigne les habitans de cette région des landes; on les appelle aussi Landescots.