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lui. Clément VIII fut moins sévère, il ne voulut pas imposer au Tasse des conditions trop dures ; il vit d’un œil favorable un poème où des louanges magnifiques lui étaient prodiguées ; il estima avec raison que, malgré quelques fictions encore trop libres, ce poème portait la marque de la Rome des jésuites et des inquisiteurs, et que le saint-siège pouvait agréer cette offrande ; il décida que l’église avait tenu assez longtemps rigueur à l’auteur de l’Aminta et de la première Jérusalem, et, accueillant avec indulgence le repentir de l’enfant prodigue, il voulut couronner au Capitole l’auteur de la Jérusalem conquise et du poème de la Création.

Hélas ! le poète regarda d’un œil indifférent les préparatifs de son couronnement. Sa conscience d’artiste s’était réveillée et protestait sourdement contre son triomphe. Quand le cardinal Cinthio le vint visiter dans son agonie et s’enquit de ses derniers désirs : « Je n’en ai qu’un, répondit-il, c’est qu’on brûle ma Jérusalem… » Ne croyez-vous pas entendre le e pur si muove de Galilée ?

Trois ans plus tard, un homme d’esprit, Domenico Chiariti, écrivait à Pellegrino que tous ceux qui avaient pris part à la grande querelle de la Jérusalem étaient morts avant le temps, et il ajoutait : « Le Tasse lui-même a expié par une mort précoce l’erreur qu’il avait commise en accommodant au goût de Rome le poème qu’il avait composé pour Ferrare, avendolo da Ferrara ov’ egli era indirizzato rivoltato a Roma. »

Dieu très saint, qui sondera le mystère de vos voies ? Quand votre église florissait et que le monde, la regardant avec admiration, s’écriait :


D’où lui viennent de tous côtés
Ces enfans qu’en son sein elle n’a pas portés ?


vous lui avez suscité dans la personne d’un prophète de mensonge un ennemi acharné, et pour résister à ses fureurs il fallut que des pontifes d’un esprit et d’un cœur durs prissent dans leurs mains redoutables le sceptre des âmes. Avec eux l’intolérance, le soupçon, la terreur, s’assirent sur le trône de saint Pierre, et pendant de longues années, Dieu de bonté, on ne vous annonça plus que comme un Dieu aux entrailles resserrées et au cœur jaloux. Inquiète, vivant dans les alarmes, tout ce que votre église avait toléré ou protégé lui devint suspect ; dans ses aveugles défiances, elle rompit toute communion avec la sagesse humaine, qui s’était faite son interprète et sa servante, et en la bannissant loin de vos autels elle lui fit prendre en haine votre nom. Alors parurent des hommes tels que la terre n’en avait pas encore vu. Ils disaient avoir mangé des fruits de l’arbre de la connaissance, et ils en étaient comme eni-