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missant… Et déjà je commençais à rire de mes doutes… Je n’osais, Seigneur, te demander de me ravir au ciel comme saint Paul, ou de te montrer à moi face à face comme à Moïse ; mais je m’approchais de la nuée derrière laquelle tu te caches, et, me tenant au pied de la montagne des contemplations, les oreilles et les yeux purifiés, je cherchais à entendre cette voix qui prononce des paroles de pitié, et à voir la montagne fumante et tout étincelante de foudres et d’éclairs. »

Assurément je ne voudrais pas faire du Tasse le modèle du parfait croyant ; ce n’était pas un de ces esprits réglés où tout se tient, où tout est d’accord, qui sont toujours dans une assiette ferme et égale. Ame combattue et flottante, il se faisait en lui des partages étranges, ou, pour mieux dire, il y avait en lui deux âmes, une âme de lumière, une âme de chair et de sang. Amant platonique de Léonore, auprès de Philis il n’écoutait que ses sens ; esprit contemplatif, il fut épicurien par accès. J’affirme seulement que, comme la volupté, le doute ne fut qu’une crise passagère dans sa vie. Il faut l’en croire ; jamais homme ne fut plus sincère en parlant de lui-même : « Je suis chrétien et platonicien, » a-t-il dit souvent. Oui, sa vraie foi, celle qu’il a professée dans tous ses écrits, celle qui inspira le plus beau de ses poèmes, c’est ce platonisme chrétien et catholique qu’enseignèrent à Florence Ficin et Pic de La Mirandole, que les pinceaux de Raphaël ont revêtu de formes et de couleurs, qui, au commencement du XVIe siècle, envahit tout, les académies et les cours, qui eut pour sectateurs des cardinaux comme Sadolet, des gens du monde comme Castiglione, et qui un jour s’est assis sur le trône pontifical dans la personne de Léon X.

Trop souvent la pensée religieuse de la renaissance a été méconnue, ravalée, travestie. L’enivrement des sens, l’exaltation de la chair, le culte frivole de la forme, l’adoration profane de la beauté, le paganisme ressuscité, c’est sous ces traits qu’on a peint le siècle de Léon X. Eh quoi ! connaît-on le génie d’une époque, quand on n’en considère que les déviations et les excès ? Et quel principe n’a été altéré et faussé par les passions humaines ? Dans le platonisme chrétien des Ficin et des Pic, je reconnais l’épanouissement complet de l’idée catholique, qui a pris toute sa croissance.

Les créations de Dieu comme les œuvres de l’homme sont soumises à la loi du développement graduel, elles suivent un cours ordonné. La douceur de Dieu est sa violence, il ne brusque rien ; les siècles sont ses journées. Il a donc voulu que la révélation eût son histoire, qu’à l’exemple de tous les êtres animés, elle se développât et s’accrût avec le temps. C’est pour cela qu’il a institué son église, divine couveuse chargée de féconder et de faire éclore l’un après