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est un peu naïf de prendre dans notre pays tant de souci du gouvernement; cependant, lorsqu’il s’agit de rendre la liberté durable, l’exemple de l’Angleterre nous enhardit, et aucune des précautions qu’elle a été la première à prendre ne nous paraît devoir être négligée.

Ne serait-ce pas donner trop d’importance à cette étude que de s’arrêter aux objections qui se présenteront peut-être à l’esprit de ceux que troublent certains souvenirs de 1848, lorsqu’on parle de la représentation spéciale et distincte des populations ouvrières? Nous ne sommes ici que dans le domaine de la théorie, et une telle discussion serait assurément prématurée. Il n’y a pas lieu non plus de répondre à ceux qui craindraient de voir dans la division du corps électoral un retour déguisé vers les anciennes séparations de la société en classes. Ce serait en tout cas à de plus autorisés que nous de résoudre ces graves questions; seulement on a vu depuis quatre-vingts ans surgir et s’écrouler tant de choses, qu’il nous paraît embarrassant de décider ce qui est impossible et ce qui ne l’est pas.

D’autres objections d’un ordre différent nous touchent de plus près. Il en est une par exemple que nous prévoyons et à laquelle nous tenons à répondre, car elle tendrait à mettre le système que nous exposons en lutte avec un des principes les plus chers à la société française depuis 89. Dans un classement électoral conçu d’après les bases qui viennent d’être développées, y aurait-il un danger réel pour l’égalité des citoyens? Nous ne pouvons le croire. Il est incontestable que pour le choix d’un maître, et devant la loi ainsi que devant la protection ou la répression de la justice, nous sommes tous égaux; mais l’égalité se trouve déplacée et portée hors de son domaine lorsqu’on en veut faire un argument rigoureux contre toute distinction entre les forces électorales. Le but de l’élection est de donner, par l’exercice d’un droit et d’un devoir communs à tous, la représentation et l’image fidèle du pays résumé dans une assemblée. Les chambres représentatives sont un miroir qui est utile en raison de l’exactitude de l’image qu’il reproduit. Il n’y a aucun prétexte pour que le pouvoir et l’administration, épris de leur mutuelle ressemblance, se bornent toujours à s’offrir réciproquement leur portrait tiré à beaucoup d’exemplaires par le procédé de la chambre obscure de la candidature officielle. C’est notre portrait, à nous autres petits administrés, que nous aimerions à voir reproduire et demander; nous ne le refuserions pas, si on trouvait quelque utilité à ce qu’il se rencontrât un moyen de représenter fidèlement non-seulement nos opinions et nos situations respectives, mais encore leurs inégalités, qui subsistent malgré tout dans bien des choses contemporaines.