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toujours prêt à travailler, à se divertir, comme à se quereller. On y gagne beaucoup d’argent, on y arrange constamment des parties de plaisir, et on y est divisé en factions dont les querelles sans cosse renaissantes, débattues par les journaux du pays dans un langage qui paraîtrait inouï en Europe, font la joie des spectateurs indifférens ou désintéressés.

La ville japonaise de Yokohama, qui, depuis son origine comme cité (juin 1859), a été deux fois détruite de fond en comble par de violens incendies, est séparée de la ville européenne par une large chaussée. Elle est composée de trois grandes rues parallèles à la plage et de plusieurs rues transversales qui coupent ces principales artères à angles droits, et forment ainsi un certain nombre d’îlots de maisons. Chacun de ces îlots est séparé le soir des îlots voisins au moyen de fortes grilles en bois auprès desquelles veillent des postes de police. Cette prudente mesure a été adoptée après l’assassinat de MM. Vos et Decker, dont on ne réussit pas à découvrir les meurtriers, bien que le crime eût été commis dans la grande rue de Yokohama et à une heure peu avancée de la nuit. Depuis la formation de ces postes de police, aucun nouveau crime n’a été commis dans l’enceinte de la ville. Tout autour des cités étrangère et japonaise, on a creusé aussi un fossé ou plutôt un canal, qu’on traverse sur des ponts gardés par des postes militaires. Personne ne peut de cette manière entrer à Yokohama ou en sortir sans être soumis à un interrogatoire qui, lorsqu’il s’applique à un Japonais portant des armes, est fort sévère. On s’enquiert d’où il vient, quelles affaires l’appellent à Yokohama, dans quel endroit il va loger, quand il doit repartir, et on ne lui permet de circuler librement que muni d’une plaque de bois (fouddé) servant de passeport, et qu’il est forcé de tenir à la main ou attaché à la garde de son épée. La ville de Yokohama se trouve ainsi tout à fait isolée du reste de l’empire; le gouvernement du taïkoun y exerce une surveillance facile et complète, et ce n’est pas sans motif qu’en faisant allusion à l’ancienne colonie hollandaise on l’a surnommée le Décima de Yédo.

La plupart des maisons de la ville japonaise sont exiguës et construites en bois léger. Presque toutes se sont transformées en bazars. C’est là qu’on voit en étalage les belles curiosités en bois laqué, en ivoire sculpté, en bronze et autres métaux, qui ont fait une si grande et si juste réputation au génie industriel et à l’art des Japonais. Les Japonais sont d’excellens marchands, en ce sens qu’ils finissent presque toujours par triompher de la patience des acheteurs européens. Ils font souvent des demandes exagérées, et comme ils n’attachent aucun prix au temps, ils y persistent pen-