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au contraire s’en accommoderaient volontiers, et y trouveraient un point de relâche on ne peut mieux placé sur leur chemin, lorsqu’ils se rendent de la Chine à leurs possessions de la Mandchourie et de l’Amour.

Nous quittâmes le golfe de Fat-chou après nous y être arrêtés pendant quelques heures ; le soir de notre départ, nous avions perdu l’île de vue, et le lendemain matin 28 octobre nous étions loin de la terre, et nous naviguions dans la Mer du Japon. Sous ce nom, il faut entendre plutôt un immense lac qu’une mer, car les îles Saghalien, Yezo, Nippon, Kiou siou, la presqu’île de Corée et la côte de la Mandchourie l’enferment presque entièrement. Son étendue est de neuf cents milles de long sur quatre cents de large. Nous y passâmes près de cinq jours, ne voyant qu’une fois terre (l’île Dagilet), et nous arrivâmes le 1er novembre devant le port russe de Vladivostock, situé sur la côte de la Mandchourie à la pointe méridionale de la péninsule Mouravief (Albert-Péninsula sur les cartes anglaises), entre 131° 58′ de longitude est et 43" 3’ de latitude nord. L’entrée de Vladivostock ou Port-May, comme les Anglais l’ont appelé du nom d’un de leurs officiers de marine, est difficile. Après avoir doublé la peinte de l’Aiguille, on pénètre dans un canal, le détroit de Hamelin, qui sépare la péninsule Mouravief de la petite île Poutiatine. Le détroit de Hamelin contient quatre ports assez spacieux ; mais le dernier seulement, celui de Vladivostock, est fréquenté par les bâtimens russes. La passe de ce port n’a qu’un demi-mille de large ; elle est remarquable par les masses rocheuses qui en défendent les abords et qu’une action volcanique a étrangement déchirées. Vladivotock a l’étendue du port de Nagasacki : il a un peu plus de trois milles de long, de l’ouest à l’est, sur trois quarts de mille de large, et il est abrité contre tous les vents. Les collines qui l’entourent sont d’une hauteur médiocre : elles ne s’élèvent guère à plus de trois cents pieds au-dessus de la mer, et dans beaucoup d’endroits elles s’abaissent au point de se confondre avec la plage même. On y voit une maigre végétation ; quelques bouquets de chênes, de pins, de bouleaux, de frênes et de noyers les couvrent çà et là. Tout est triste et morne. Il n’y a dans les environs aucune trace de culture, et les pauvres habitations qui composent l’établissement ruse semblent perdues dans l’immense solitude qui les environne. En été, lorsque tout s’épanouit et que les vastes plaines forment un tapis de verdure, le paysage peut être agréable ; mais nous sommes loin des automnes verdoyans de Nagasacki : ici, dès la fin d’octobre, l’hiver règne, il fait un froid piquant ; les arbres, dépouilles de feuilles, sont ouverts de givre, et nous n’apercevons d’autres êtres vivans que des corbeaux dont le croassement ajoute encore au caractère lugubre du paysage.