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vingt fois sans un doute. » Quand il représente Jésus fondant cette grande doctrine du dédain transcendant, vraie doctrine de la liberté des âmes, qui seule donne la paix, qui n’entend la cri de cette fière personnalité se retranchant contre les contraintes abaissantes de la vie dans un orgueil légitime, mais aussi dans une espèce de quiétisme de penseur ?

J’aurais dû dire dès le commencement que la Vie de Jésus n’est que la première partie d’un travail beaucoup plus vaste, l’histoire des origines du christianisme. M. Renan se demande s’il pourra jamais exécuter ce projet ; mais il n’a que quarante ans, sa vie est comme son talent dans sa plénitude, et on a le droit de croire qu’il conduira son œuvre jusqu’au bout. Belle destinée que de laisser un tel monument après soi ! elle a dû tenter dans notre temps bien des esprits à qui elle ne sera pas donnée. Il en est qui ont fait ce rêve, et qui toute leur vie en ont bercé leur pensée, mais qui n’ont pas eu, qui n’auraient jamais eu sans doute la force de l’accomplir. Ils s’en consoleront, et ils ne seront pas jaloux, s’il leur reste la satisfaction d’applaudir, et de signaler le livre déjà fait à l’admiration et à la reconnaissance des bons esprits, en donnant acte à l’auteur de ses promesses, car elles seront tenues, n’en doutons pas, avec le même talent que nous goûtons aujourd’hui. Il nous dessinera ce personnage de Paul, si original encore après celui de Jésus ; il éclairera de sa science et de son imagination les visions de l’Apocalypse. Sa critique d’ailleurs deviendra par le travail de plus en plus sûre d’elle-même ; il nous donnera, sur les origines du christianisme, toute la vérité, rien que la vérité, suivant la formule des tribunaux. Rien que la vérité, c’est ce qui est facile, et il n’y a qu’à vouloir ; toute la vérité, c’est-à-dire la vérité dans tout son éclat ou dans tout son charme, c’est ce qui est très difficile, mais ce qui est possible à M. Renan, car il l’a fait.


ERNEST HAVET.