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nature physique ou morale, a été surnaturel ; mais on ne peut pas croire qu’un homme ouvre la mer et la tienne suspendue pour faire un chemin à pied sec au milieu des eaux, ou que d’un signe il couvre le ciel de ténèbres pour trois jours. Aussi les récits re prêtent-ils à Jésus aucun de ces miracles impossibles, et on lui fait dire expressément, en réponse aux pharisiens qui lui demandent un signe venant du ciel : « Il ne sera pas donné à cette génération de tel signe. » Pourquoi pas à cette génération ? Pourquoi Moïse pouvait-il faire cela, et non pas Jésus ? Les hommes d’alors n’auraient su le dire ; notre critique le dit aisément. C’est qu’on ne commence à croire de pareilles choses qu’à une distance énorme des temps où elles sont censées avoir eu lieu. Les miracles de Jésus ne sont d’ordinaire que de ces menus miracles physiologiques dont le principe est dans les secousses de l’imagination ébranlée. De plus ils se passent dans l’ombre, et souvent le narrateur même semble prévenir la curiosité qui demanderait des témoignages en avertissant que Jésus a défendu aux témoins d’en parler. C’est ce qui arrive surtout pour les miracles qu’on peut appeler extraordinaires, et en particulier pour celui de la transfiguration. Le miracle des pains, il est vrai, est censé s’accomplir devant une foule ; mais c’est une foule insaisissable : la scène n’est pas dans une ville, mais au désert, et de ces quatre ou cinq mille hommes qu’on imaginait, on ne pouvait penser à en retrouver un seul. Il y a dans les Évangiles un miracle, mais un seulement, qui ne comporte aucune illusion : c’est la résurrection de Lazare. C’est en plein jour, devant des témoins rassemblés, dans le bourg de Béthanie, à une demi-lieue de Jérusalem, qu’on voit Jésus arracher au tombeau et à la mort un corps enterré depuis quatre jours déjà et qui sent mauvais. Voilà bien ce que j’ai appelé un miracle impossible ; mais aussi ce miracle unique, ce signe éclatant de Jésus, est précisément celui dont il n’est pas dit un mot dans aucun des trois premiers évangiles, il ne se lit que dans le dernier. La critique donc, qui met à part ce dernier et le croit écrit fort tard, à Éphèse, loin des Juifs et de tout témoin oculaire, n’est pas embarrassée de cette histoire, et n’y voit qu’une création de l’imagination. Le silence des premiers narrateurs sur un fait qui serait le plus éclatant de tous, et la plus grande preuve du caractère divin de leur maître, ce silence inexplicable achève de rendre impossible qu’un tel récit, déjà si suspect par lui-même, paraisse avoir la moindre réalité.

Mais si c’est Jean, le compagnon fidèle de Jésus, qui a raconté le quatrième évangile, il n’y a plus à douter qu’une scène comme celle-là se soit passée à Béthanie. Dès lors, ou bien il faut reconnaître le miracle (et ce n’est pas M. Renan qui pourra jamais s’y résoudre),