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quatre vieux soldats de l’empire se fussent mis chacun de leur côté à écrire la vie de Napoléon avec leurs souvenirs. Il est clair que leurs récits offriraient de nombreuses erreurs, de fortes discordances. L’un mettrait Wagram avant Marengo ; l’autre écrirait sans hésiter que Napoléon chassa des Tuileries le gouvernement de Robespierre ; un troisième omettrait des expéditions de la plus haute importance. Mais une chose résulterait certainement avec un haut degré de vérité de ces naïfs récits, c’est le caractère du héros, l’impression qu’il faisait autour de lui. » La comparaison est ingénieuse, mais non tout à fait exacte. Les évangélistes ne sont pas des soldats de Jésus, rien ne prouve qu’ils aient seulement vu Jésus, et tout fait supposer le contraire. Ils écrivent dans une autre langue que celle de Jésus, et plus ou moins loin de son pays. L’intervalle entre Jésus et eux était rempli ou par la seule tradition orale, ou, s’il y a eu quelque relation écrite dans la langue des Galiléens, la trace même s’en est perdue. Les Évangiles sont vrais, je le crois aussi, quant à l’impression qu’ils nous donnent de Jésus, mais vrais de cette vérité à laquelle la tradition suffit.

J’ajoute, ou plutôt je viens déjà d’indiquer, que ces quatre récits ne sont pas d’une valeur égale, car ils ne sont pas à égale distance de la source. Le plus ancien évangile est celui qui est le second dans nos recueils, et qui porte le nom de Marc. Celui qui porte le nom de Matthieu n’en est guère qu’un remaniement. Le troisième a été évidemment composé plus tard, dans un esprit qui s’éloigne beaucoup de celui du récit primitif. Le quatrième en est bien plus loin encore, et il a un caractère tout à fait à part, qui l’a fait toujours opposer aux trois premiers, pris ensemble. L’auteur de la Vie de Jésus sait tout cela aussi bien que personne, et j’aurais pu étayer de renvois à son livre chacune des phrases que je viens d’écrire ; mais comment concilier ces vues avec la supposition que le quatrième évangile puisse être à peu près de la main d’un homme qui n’a pas quitté Jésus ? La critique embarrassée demeure nécessairement flottante, elle va et vient d’une idée à l’autre sans se fixer.

Je voudrais montrer par quelque exemple les inconvéniens que peut avoir cette indécision. Je prendrai dans le quatrième évangile deux endroits, d’abord un point de fait, et puis un point de doctrine. Le premier est la résurrection de Lazare. Rien de plus fameux que cette histoire, qui sort tout à fait de l’ordre habituel des miracles de Jésus, car il y a deux sortes de miracles, les possibles et les impossibles. J’entends par miracle impossible celui auquel il n’est pas possible de croire. On peut croire qu’un malade a été guéri par le toucher ou la parole d’un homme, quoiqu’il ne l’ait pas été ; on peut croire aussi qu’une guérison vraie, explicable par quelque loi de la