C’est le cœur de son sujet, c’est la vraie origine du christianisme. Il a répandu çà et là les versets des discours et des paraboles, et le commentaire dont il les embrasse est si pieux et si vrai, que, loin d’altérer en rien ces fleurs, il leur rend au contraire la fraîcheur et le charme des premiers jours. Quelques esprits se sont défiés de ce charme même et ont voulu s’en défendre : on a écrit que l’Evangile de M. Renan était délicieux, mais qu’on aimait encore mieux les vieux Évangiles. C’est un mot joli à dire, mais qui n’est pas sérieux. Qui sait mieux que M. Renan ce que valent les Évangiles, et en toutes choses qui a plus que lui la passion des sources, et qui aime plus les beaux voyages qu’on doit faire pour y remonter ? Mais ces grands livres, il faut savoir les lire et les comprendre. Les monumens primitifs ont besoin d’être traduits non pas seulement d’une langue dans une autre, cela est peu ; mais qui entend leur langue n’entend pas pour cela leur pensée et ne pénètre pas jusqu’à leur âme. Jamais on ne lira plus à livre ouvert les vieux Évangiles que quand on aura appris à les lire avec un tel interprète.
Cependant les ressources du talent de M. Renan ne m’ont frappé nulle part autant qu’à l’endroit où il rencontre devant lui non plus la perfection de la morale évangélique, mais ses excès et ce qu’on pourrait appeler sa déraison. Le riche réprouvé par cela seul qu’il est riche, le pauvre élu par cela seul qu’il est pauvre, la condamnation de la prudence et même du travail, et, au lieu de l’apologue grec de la fourmi, la parabole du lis qui est si bien vêtu sans filer ; la besogne utile mise au-dessous de la contemplation oisive, la mendicité glorifiée, toute sorte de défis à cette science économique qui est si près d’être toute la religion d’aujourd’hui ; le précepte, si on est frappé sur une joue, de tendre l’autre : toutes ces choses, qui embarrassent quelquefois la sagesse même de l’église, n’embarrassent pas l’écrivain, qui peut se laisser aller librement au rêve de son âme. « Un sentiment d’une admirable profondeur domina en tout ceci Jésus, et fit de lui pour l’éternité le vrai créateur de la paix de l’âme, le grand consolateur de la vie. En dégageant l’homme de ce qu’il appelait « les sollicitudes de ce monde, » Jésus put aller à l’excès et porter atteinte aux conditions essentielles de la société humaine ; mais il fonda ce haut spiritualisme qui pendant des siècles a rempli les âmes de joie à travers cette vallée de larmes. Il vit avec une parfaite justesse que l’inattention de l’homme, son manque de philosophie et de moralité, viennent le plus souvent des distractions auxquelles il se laisse aller, des soucis qui l’assiègent, et que la civilisation multiplie outre mesure. L’Évangile, de la sorte, a été le suprême remède aux ennuis de la vie vulgaire, un perpétuel sursum corda, une puissante distraction aux misérables soins de la