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d’admettre ce principe n’ont rien à faire du livre de M. Renan, et M. Renan, de son côté, n’a pas à s’inquiéter de leur opposition et de leur censure, car il n’écrit pas pour eux.

On ne s’étonnera donc pas que je ne confronte point son ouvrage à d’autres travaux, faits dans un tout autre sens par des hommes dont l’un est le confrère de M. Renan à l’Institut[1]. Si je n’entre pas dans cette discussion, ce n’est certes pas par dédain ni pour l’autorité des personnes, ni pour les preuves qu’elles ont données dans ces livres, ou de leur savoir, ou de leur habileté d’argumentation, ou de la chaleur de leur conviction ; mais c’est par l’impossibilité d’y entrer, sans accepter par cela même une supposition inacceptable, celle que le surnaturel soit seulement possible. Le philosophe part de la raison, le croyant part de la foi. Pour lui, la foi n’a pas de titres à produire, mais tout au plus à se défendre de ceux qu’on prétendrait produire contre elle. L’orthodoxe n’a pas besoin de prouver le miracle, il est content s’il peut seulement ne pas être forcé ou ne pas se croire forcé à le nier. Je voudrais préciser davantage par un exemple. Le critique ouvre un Évangile, et il y trouve la prédiction précise et circonstanciée de la prise de Jérusalem et de la ruine du temple. Il conclut tout de suite, et sans en demander davantage, que ce livre, ou tout au moins cet endroit, a été écrit après l’événement, et il tient cela pour acquis, à moins qu’on ne fournisse la preuve du contraire. Mais pour l’orthodoxe le livre est sacré, et tout doit y être présumé vrai ; c’est donc bien Jésus qui a annoncé la destruction du temple avant le temps, et cette annonce a été une prophétie ; il le croit, et il exige qu’on le croie, et c’est lui qui demande qu’on lui démontre qu’il ne peut pas croire. Ces démonstrations à rebours ne sont pas et ne peuvent pas être toujours faisables ; mais quand elles se font, on les élude, car il n’y a qu’en mathématiques qu’on ne peut pas disputer. On se tire d’un mauvais pas, soit par une entorse donnée au texte, soit par la supposition extrême que le texte même est altéré, soit par tout autre artifice ; de cette façon on ne reste jamais court, et, dans la légende la plus remplie d’invraisemblances et la plus répugnante au sens ordinaire, on soutient que le faux n’est pas prouvé, et on trouve que cela suffit. Ces sortes de livres peuvent satisfaire un lecteur qui a la même foi que l’auteur et qui ne veut pas qu’on l’ébranle ; ils l’autorisent, et par là ils raffermissent, tout en le laissant encore, je le crains, exposé à bien des embarras et à bien des doutes ; mais ils ne répondent pas aux véritables libres pen-

  1. M. Wallon, de la Croyance due à l’Évangile, 1858 ; — le même, la Sainte Bible, résumée dans son histoire et dans ses enseignemens (2 vol. Ancien et Nouveau Testament). Je nommerai aussi la Vie future suivant la foi, etc., par M. Thomas-Henri Martin.