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dition soit absolument indispensable, puisque après tout les livres chrétiens originaux sont écrits en grec ; mais l’hébreu est la langue de la Bible, l’hébreu encore, ou du moins une espèce d’hébreu, était la langue de Jésus, l’hébreu est la langue du Talmud, et quelle gêne, malgré les traductions, pour celui qui veut étudier les origines chrétiennes, que de ne pas lire la langue du Talmud, de Jésus et de la Bible ! Il fallait, pour ressusciter avec toute leur vie ces choses étranges et si loin de nous, une imagination de poète, et pourquoi ne le dirais-je pas ? un esprit qui ne fut pas parisien. Il fallait peut-être, c’est M. Renan qui le déclare, avoir vécu dans le temple, sous la robe même de Jésus, et s’y être pénétré de foi : mais aussi il fallait en être sorti, c’est lui qui le dit encore, et avoir respiré largement l’air du dehors. Il était bon que celui qui raconterait Jésus eût vu le pays où Jésus vivait, qu’il l’eût vu longtemps et à loisir, qu’il eût comblé entre Jésus et lui la distance des lieux pour s’aider à remplir celle des temps. Enfin il fallait un écrivain, puisqu’il n’y a de pensée vivante et puissante que par le style.

Eh bien ! M. Renan est un penseur dont chaque page éveille des pensées. M. Renan est un philologue consommé, un orientaliste ; il est l’auteur de l’Histoire des Langues sémitiques, il est professeur public d’hébreu, de chaldaïque et de syriaque. Il a autant de poésie en lui que de force et de savoir, et c’est un Breton, c’est-à-dire quelque chose comme un Galiléen de la France. C’est un Lamennais qui s’est séparé assez tôt pour n’avoir ni irritation, ni aigreur. Il a vu la Palestine et la Syrie, il y a séjourné longtemps, il y a presque vu la mort, et il y a laissé une portion bien chère et bien précieuse de lui-même. Je n’ai pas besoin de dire enfin si M. Renan sait écrire. Voilà ce qu’il apportait à ce travail : voyons maintenant ce qu’il a fait.


I.

L’historien se place tout d’abord et se tient constamment dans tout son livre en dehors du surnaturel, c’est-à-dire de l’imaginaire. Non-seulement Jésus n’y est pas Dieu, ce dont on voit par les récits mêmes que ni lui ni les siens n’ont eu l’idée, mais toute prophétie, tout miracle, en un mot tout merveilleux, même celui auquel lui-même a pu croire, est effacé de sa vie. C’est le principe dominant de la vraie histoire comme de toute vraie science — et sans lequel on peut dire qu’elle n’existe pas, — que ce qui n’est pas dans la nature n’est rien, et ne saurait être compté pour rien, si ce n’est pour une idée. Ce principe a mis entre le passé et l’avenir, dans l’ordre intellectuel, un abîme infranchissable. Ceux qui refuseraient encore