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numérique toute seule n’est point une raison de justice ni d’égalité. Le nombre pris comme seule base électorale peut, en certains cas, dénaturer et vicier toutes les élections, sans donner même à la foule qui l’emporte une véritable et personnelle satisfaction, ni un organe politique particulier et spécial. Que dans chaque catégorie de la société la majorité décide au déplaisir de la minorité, il s’y faut résigner; mais rien n’oblige d’établir que l’égalité entre les individus supprime l’égalité entre les intérêts, car tout citoyen est double: il est citoyen, puis autre chose encore, c’est-à-dire propriétaire, ouvrier, industriel ou savant, et ne faut-il pas concilier son double droit d’existence et de situation? L’homme civilisé doit-il être jeté nu et dépouillé devant l’urne électorale, sans autre évaluation que son existence physique, et sans qu’il soit tenu aucun compte de ce qu’il sait, produit ou possède? Pour que l’élargissement de la liberté des élections fût un progrès et non un danger, et fît la juste part des intérêts, il faudrait donc nécessairement admettre quelque modification ou complément à la doctrine présente du suffrage universel; mais, lorsqu’on cherche un point de départ politique quelconque, à la fois positif et moral, on ne sait où le prendre. La commune est plutôt un fait qu’un principe, et peut difficilement aujourd’hui être considérée comme l’origine ou l’école d’une force politique : c’est une division toute matérielle et le premier échelon local du gouvernement, ou plutôt chaque commune n’est qu’une des mailles du grand filet administratif qui nous enveloppe, et un cadre ou engin commode pour nous saisir et nous guider. Le canton et le département, dans leur organisation présente, semblent offrir des conditions à peu près analogues. Aussi, nous résignant provisoirement à chercher une solution dans des régions peu élevées, le premier point de départ et la justification d’une classification électorale ne pourraient-ils être d’abord l’impôt, relation la plus palpable de toutes entre le gouvernement et les administrés? Ce serait un premier partage se pouvant prêter à des subdivisions plus détaillées.

Quel est le droit de tous sur le vote, sur la quotité et l’emploi de l’argent fourni par les impositions? Jusqu’à quel point celui qui n’en paie pas doit-il concourir au choix de ceux qui sont élus pour établir cet impôt et en régler l’usage? Peut-on mettre la main dans la bourse de son voisin et, sans délier la sienne, lui imposer de lourdes dépenses? Cela semble contraire à la justice et à l’égalité, et peut produire de funestes effets. « Ceux qui ne paient pas d’impôts, disposant par leurs votes de l’argent d’autrui, ont toutes les raisons imaginables pour être prodigues, et aucune pour être économes. Chacun sait que c’est là ce qui, dans les grandes villes des