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lais tout à l’heure. On a retrouvé cet Abrégé de la vie de Jésus-Christ ; M. Faugère l’a publié. Quant à l’âme de Jésus, nul génie moderne n’a été en commerce plus intime avec elle. Le divin de cette vie obsédait son imagination et son cœur. Il ne lui manquait que la clé du mystère ; qui sait s’il ne l’aurait pas trouvée ? En toutes choses, on voit Pascal se nourrissant d’abord avec une confiance avide de la science telle qu’on la lui a donnée ; puis un rayon, un seul rayon, qui vient à tomber dans son esprit, y ouvre tout à coup des abîmes. Il y a d’ailleurs, il y aurait eu de plus en plus dans sa pensée des cimes si hautes qu’elles reçoivent d’avance des lueurs de l’avenir. Pascal est mort à trente-neuf ans ; supposons qu’il ait vécu, qu’il ait retrouvé la force, qu’il ait pu lire le Traité théologico-politique de Spinoza : où est-ce qu’une pareille ouverture l’aurait conduit ? Effrayé alors d’une lumière que lui seul parmi les siens eût pu supporter, il l’eût enfermée peut-être en lui-même, il eût porté sur lui sa contemplation du vrai Jésus, comme il portait le memento de sa vision : il eût tracé en secret, et pour la postérité seule, la véritable idée de celui en qui il avait toujours vécu, et qu’il aurait enfin pénétré jusqu’à son fond. Il y aurait mis sa curiosité obstinée et sa lucidité géométrique et, par-dessus les effusions, les ardeurs du Mystère de Jésus… Mais laissons cela, puisque c’est un rêve, puisque Pascal n’a pas vécu, puisqu’il n’a pas fait, puisqu’il n’aurait sans doute pas pu faire un tel livre ; laissons cela, et débarrassons M. Renan de ce rival.

Le XVIIIe siècle est venu ; la critique, longtemps amassée, fait son explosion, qui est terrible. Voltaire a tout déblayé, et la vie de Jésus semble possible ; cependant elle ne se fait pas[1]. Voltaire et Jésus, quels pôles opposés ! Et par où se ferait la communication de l’un à l’autre ? Elle s’était faite pourtant jusqu’à une certaine mesure, et il ne faut pas croire que Voltaire ait traversé les Évangiles toujours raillant et détruisant, et détournant les yeux de l’image sacrée. Dans l’article Religion du Dictionnaire philosophique, il décrit le songe d’une de ses nuits, songe peuplé de sages avec qui il raisonne ; mais, au bout de cette promenade philosophique, voici ce qu’il trouve, et par où le songe s’achève : « Je vis un homme d’une figure douce et simple, qui me parut âgé d’environ trente-cinq ans. Il jetait de loin des regards de compassion sur ces amas d’ossemens blanchis à travers lesquels on m’avait fait passer pour arriver à la demeure des sages. Je fus étonné de lui trouver les pieds enflés et sanglans, les mains de même, le flanc percé… — Est-ce aussi par

  1. L’Histoire critique de Jésus-Christ (du baron d’Holbach) ou Analyse raisonnée des Évangiles est encore de la polémique et non de l’histoire.