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— Eh! qui donc vous envoie?

— Celui dont vous avez regardé la communion.

— Eh bien ! allez lui dire que je me moque de Rome entière, et que j’y saurai rester, si telle est ma volonté.

L’homme eut un sourire de commisération, salua Jean et s’éloigna.

Trois jours après, Jean était retourné à Rome. Un soir qu’il se promenait solitairement dans les espaces déserts qui s’étendent le long des bords du Tibre, au-delà du mont Aventin, trois hommes se jetèrent sur lui, l’enveloppèrent d’un manteau et le poussèrent dans une voiture qui partit au grand trot et ne tarda pas à rouler dans la campagne. Avant le lever du jour, Jean était arrivé au petit port de Fiumicino. Là on le porta sur une grande barque pontée, où l’un des hommes qui l’avaient enlevé lui remit une lettre de Samla. « Ne sauras-tu donc jamais te dominer, lui disait-il, et faut-il que tu nous contraignes à user de tels moyens pour te rappeler à la raison et pour te sauver? L’heure ne tardera pas sans doute à sonner où nous aurons besoin de ton énergie, que tu dépenses si mal; viens vite me retrouver ; à ce prix, tu sauras peut-être plus tard où est celle que tu as le tort de chercher. »

Toujours surveillé, mais servi comme un maître par ses compagnons forcés, Jean débarqua à Gênes, et de là se rendit près de Samla, qui, je l’ai dit, habitait au-delà du Jourdain.

En voyant Samla, le premier mot de Jean fut : — Où est Sylverine?

— Tu le sauras plus tard, répondit Samla. Et il ajouta avec une expression de tristesse qui n’était point habituelle à son impassible visage : — Le temps où tu pourras la revoir ne viendra que trop tôt pour toi.

Malgré ses révoltes, Jean dut se courber devant cette volonté de fer qui n’avait jamais su plier. On l’accabla de travail pour le distraire de ses pensées; mais rien n’y faisait, et s’il avait pris sur lui de ne jamais plus prononcer le nom de Sylverine, il n’était pas moins occupé d’elle sans relâche et sans cesse. Elle régnait tyranniquement sur son cœur. On eût dit qu’elle s’était emparée de lui pour lui parler de Flavio et le battre de remords que rien n’émoussait.

Deux années s’étaient passées, deux années longues, irritantes. Nulle action n’était venue occuper les violences de Jean, nulle nouvelle ne lui était arrivée de Sylverine; mais il n’était ni plus accoutumé à son malheur, ni plus résigné.

Un jour Samla, plus grave encore que de coutume, entra chez lui et lui remit une lettre : — Tu peux aller la voir maintenant, lui dit-il, tu vas être enfin délivré.