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toutes choses; il fouilla les villes voisines de Florence, courut à Ravenne dans l’espoir qu’elle y serait retournée, osa aller dans la ville de Cosenza, pensant que peut-être elle avait été se cacher là même où Flavio avait péri. Ce fut en vain, il ne put la découvrir. Il en vint à s’imaginer que, pour mieux le fuir, elle avait été s’établir à Rome, dans le camp même de l’ennemi, dans le lieu spécial et périlleux où il ne pouvait pénétrer sans risquer sa tête. On croit facilement à ce que l’on désire. Dès que cette idée se fut emparée de lui, elle lui apparut imposante et précise comme une évidence. Il prit un faux passeport et arriva à Rome vers le moment où les fêtes de la semaine de Pâques y attirent un si grand nombre de curieux. Il visita toutes les auberges, demanda impudemment à la police communication du registre des étrangers, et, au lieu d’éviter les recherches que sa présence pouvait susciter, sembla prendre plaisir à les braver. Il se montrait à toutes les cérémonies de Saint-Pierre, car il espérait y apercevoir Sylverine; il riait au nez des soldats de la garde suisse vêtus comme des valets de carreau, et ne se gênait guère pour faire à haute voix et en public les observations les moins obligeantes pour le gouvernement du pape.

Un jour que, dans les salles du Vatican, il regardait le tableau trop vanté de la Communion de saint Jérôme il entendit derrière lui une voix qui disait : — La communion de saint Jérôme devrait rendre plus prudens ceux qui y ont pris part. — Il se retourna et vit un inconnu qui, le regardant, ajouta : — Il ne faut jamais oublier saint Jérôme.

L’inconnu s’éloigna, et Jean, habitué dès longtemps à ces choses mystérieuses et toujours un peu solennelles, n’eut point de difficulté à comprendre que cette phrase dénuée de sens apparent et qui jouait sur le nom de Jérôme, c’est-à-dire sur le nom de Savonarole, était un avertissement que lui envoyaient les buveurs de cendres.

Il n’en tint compte et persista dans ses recherches. Il alla à Tivoli, à Rocca di Papa, à Castel Gandolfo, à Frascati, partout enfin où il supposa que Sylverine avait pu se cacher. Un matin qu’il marchait dans le chemin ombragé qui entoure le lac d’Albano, il se trouva face à face avec l’homme qui lui avait parlé dans le musée du Vatican. L’homme s’arrêta devant Scoglio et lui dit : — Celle que vous cherchez n’est point ici, vous ne sauriez la retrouver.

— Où est-elle donc? demanda Jean.

— Je n’ai point à vous le dire, répliqua l’inconnu; mais j’ai mission de vous prévenir qu’on commence à ouvrir les yeux sur vous à Rome, et qu’il est temps pour vous d’en partir, si vous ne voulez y rester à jamais!