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chées derrière le dos, il avait été conduit, hors de la ville, près de la chapelle Santa-Maria. Il offrit sans pâlir sa poitrine aux soldats, et tomba foudroyé, la face en avant, sans prononcer un mot.

Sylverine, qui contenait son cœur à deux mains, écouta ce lugubre récit, les yeux fixes et plus pâle qu’une morte, puis elle fut saisie d’un accès de rage folle, et, courant vers Jean, elle lui cria : — Caïn ! Cain ! Caïn !

Un flot de larmes abattit cet orage; elle retomba assise, épuisée, comme mourante. Jean s’agenouilla devant elle; il lui baisait les mains, il sanglotait avec la souffrance aiguë de ceux qui ne savent point pleurer, et il répétait : — Je l’ai tué ! je l’ai tué !

— Oui, tu l’as tué! lui dit Sylverine en le regardant avec un mépris si profond qu’il en fut atterré; oui, tu l’as tué! C’est ton égoïsme et ta lâcheté qui l’ont poussé vers une mort qui ne l’attendait pas. Tais-toi, ne te défends pas! Tu lui as volé sa maîtresse, et tu l’as envoyé à ta place vers des dangers que tu n’osais pas affronter! Je ne veux plus te voir.

Il voulut balbutier une réponse, elle ne l’écouta pas, elle le re- poussa du pied. — Va-t’en, reprit-elle, tu me fais horreur ! J’ai été folle de t’aimer ou plutôt de croire que je t’aimais; c’est lui que j’aimais, c’est ce cher mort que je ne reverrai plus. Ah! misère de la vie, quel cœur maudit ai-je donc en moi pour avoir pu le tromper, et le tromper pour qui?

Jean tendait les mains vers elle et criait : — Sylverine ! Sylverine!

Elle se leva impétueusement, ouvrit la porte, et la lui montrant d’un geste que raidissaient toutes ses colères : — Va-t’en, lui dit-elle, et que je ne te revoie jamais, jamais ! Il y a maintenant entre nous un abîme que tu ne franchiras pas : c’est la fosse sanglante où Flavio est couché avec dix balles dans la poitrine. Ne parle pas; va-t’en!

Elle le poussa dehors avec une violence extraordinaire et ferma la porte derrière lui. — Flavio, s’écria-t-elle, je t’ai trompé pendant ta vie, mais je te jure d’être fidèle à ta mort!

Jean erra toute la nuit; emporté par un tourbillon de colère et de douleur, il alla par les champs comme un insensé, s’arrêtant, se laissant tomber au pied des arbres, pleurant, marchant à grands pas, criant de fureur et montrant le poing aux étoiles comme s’il eût voulu insulter Dieu et le défier. Les contradictions les plus étranges se heurtaient dans sa tête; parfois il voulait courir à Naples, soulever le peuple, incendier le palais du roi, égorger les soldats, pendre les ministres et faire à Flavio d’effroyables funérailles. Parfois il voulait rejeter le serment des buveurs de cendres, reconquérir Sylverine,