ont amené bien des désappointemens. Avec le suffrage universel, on s’attendait à ce que tout le monde serait satisfait; mais dans la réalité, quelque étendu ou restreint que soit le droit de vote, il faut nécessairement qu’il y ait toujours une forte part de gens mécontens et battus aux élections. L’avènement des masses à la vie politique ne change rien à ces conditions, car le fond même des institutions électives est d’accepter d’avance également la victoire ou la défaite. Les systèmes politiques modernes établis sur l’élection ne sont praticables et utiles que par la résignation des minorités et par la modération des majorités; c’est ce qu’on a trouvé de mieux jusqu’à présent, mais ce n’est que cela. La théorie absolue des droits du nombre peut, comme toute autre, être facilement poussée à l’absurde, et pour rappeler à ce propos une des plus judicieuses pensées de M. Mill, la différence entre l’esclave irresponsable et l’homme libre, c’est que le premier obéit à un ordre personnel et direct, le second à une loi; mais il faut toujours finir par obéir à quelqu’un ou à quelque chose.
Les uns croyaient qu’avec le suffrage universel tout était perdu, d’autres que tout serait toujours sauvé. Cela n’a été ni si pernicieux ni si parfait; mais cette institution, créée en faveur du nombre, peut arriver à des résultats contraires à l’égalité. Ainsi le suffrage universel pur et simple étouffe et écrase les minorités, non point seulement les minorités politiques, qu’on appelle des partis quand elles sont vaincues, et le pays légal quand elles triomphent, mais encore les minorités numériques. Ainsi cent ouvriers dans une ville de dix mille commerçans ne seront jamais représentés comme ouvriers; ils pourront voter pour tel candidat, mais ce candidat ne sera pas le leur en propre. Un ou deux grands manufacturiers, au milieu de dix mille ouvriers de leurs fabriques, ne seront pas non plus spécialement représentés, tant que les élections resteront uniquement fondées sur le nombre et sur la division par localités. Nommés aujourd’hui d’après cette division seulement, les députés ne pourraient-ils pas l’être d’après une division par localités et par personnes tout à la fois? C’est une question qu’il n’est pas superflu d’examiner, car si, par le hasard de sa résidence, chacun peut espérer d’être représenté selon son opinion politique, ce qui est très vague pour la plupart des électeurs, il ne l’est pas selon sa situation sociale. Le classement géographique et local est-il donc plus judicieux qu’un autre?
De ce que le commerce, l’intelligence et les arts, la propriété, l’industrie ou la force ouvrière ne sont pas représentés par des nombres égaux d’électeurs, il ne s’ensuit pas que l’un de ces intérêts soit condamné à être opprimé par un autre, ni aucun d’eux sacrifié; le pouvoir ne doit pencher d’aucun côté, et la proportion