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rivera ce qu’il pourra, dit-il; mais je ne donnerai point dans un piège si grossier, et je ne partirai pas. » Puis il écrivit au chef même des buveurs de cendres, lui notifiant son refus de se mêler à une entreprise qu’il regardait comme inopportune. En cette circonstance comme en tant d’autres, Jean était injuste, car la vérité est que Flavio, désireux de se jeter dans l’action pour échapper à ses chagrins, avait demandé à diriger lui-même l’expédition, et qu’on lui avait répondu que sa présence était indispensable dans les états du pape, qu’il aurait à soulever, en cas de succès, pour donner la main au mouvement napolitain. Flavio, qui savait obéir parce qu’il avait l’habitude de commander, s’était résigné sans murmure.

Jean n’avait consulté personne pour prendre sa résolution; il n’en avait rien dit à Sylverine, et comme il ne voyait plus Flavio, il n’avait naturellement pu lui en parler. Il ne devait pas cependant tarder à le revoir. Huit jours environ après qu’il eut envoyé la lettre qui annonçait son refus, une nuit, vers une heure du matin, il marchait sur le rivage de la mer; arrivé à un endroit que nul arbre n’abritait, où nulle maison ne s’élevait, il s’arrêta et attendit. Un homme venant d’une direction opposée s’approcha de lui, et à la douteuse clarté des étoiles il reconnut Flavio. — Es-tu donc appelé? lui dit-il.

— Je suis appelé, répondit Flavio.

Ils restèrent debout côte à côte sans parler. Une barque s’approcha du rivage et s’éloigna rapidement après qu’un homme eut sauté sur la grève. L’homme marcha droit vers les deux compagnons, qu’enveloppaient les ténèbres, et, s’arrêtant à quelques pas d’eux, il dit :

In fratris Hieronymi nomine, salve!

Ils répondirent ensemble et en même temps : — In nomine fratris Hieronymi, vale !

Jean et Flavio donnèrent le baiser fraternel au nouveau-venu, qui jeta son manteau sur le sable, et ils s’assirent. Cet homme mystérieux n’était autre que le chef des buveurs de cendres. Son nom importe peu : nous dirons seulement qu’il était connu des téphrapotes sous l’appellation édomite de Samla. Il entra brusquement en matière, comme les gens qui savent le prix du temps.

— Il ne peut y avoir de secret entre nous, dit-il à Jean. Voici Flavio; me voici, moi, qui suis venu exprès pour connaître tes raisons. Pourquoi, au mépris de ton serment, refuses-tu le poste qui t’est confié?

Jean, qui malgré ses raideurs apparentes se savait coupable, qui du reste n’aurait jamais consenti à reconnaître qu’il répudiait une mission périlleuse afin de ne point quitter sa maîtresse, Jean se jeta