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verine, à vrai dire, ne pensait guère à tout cela; elle cherchait Flavio, le guettait, l’attendait. Un soir, inopinément elle le rencontra ; elle courut à lui, passa son bras sous le sien : — Enfin te voilà! dit-elle.

Il reconnut vite le péril ; il eut la force de plaisanter malgré son trouble, et, dégageant son bras, il lui dit : — Te rappelles-tu la chanson française que chantent les enfans : « Nous n’irons plus au bois, les lauriers sont coupés? »

— Pourquoi me fuis-tu, cher Flavio? Pourquoi m’as-tu quittée? La meilleure place dans mon cœur n’était-elle pas la tienne?

— Tais-toi, lui dit-il en lui mettant la main sur les lèvres; un vieux précepte dit qu’il ne faut point tenter les saints, et je ne suis qu’un homme.

Puis, sentant peut-être que l’émotion le gagnait et que son courage allait faillir, il lui baisa rapidement la main et s’éloigna à grands pas.

Elle le regarda s’éloigner sans faire un geste pour le retenir; mais un sourire de joie glissa sur ses lèvres et brilla dans ses yeux. — Ah ! se dit-elle, il m’aime encore!

Oui, certes, il l’aimait encore, car il était de ceux qui ne savent pas se reprendre lorsqu’une fois ils se sont donnés.


II.

Deux mois s’étaient passés sans apporter aucun changement à cette situation douloureuse, lorsque Jean reçut tout à coup, par un de ces moyens secrets dont les buveurs de cendres usaient pour leurs communications importantes, ordre de quitter Ravenne dans l’espace de huit jours et de se rendre à un point désigné de la côte des Calabres pour prendre la direction immédiate du mouvement préparé depuis longtemps. Ces instructions ne permettaient ni doute, ni retard. Ce fut un coup de foudre pour Jean, qui se complaisait dans le bonheur malsain où il s’abandonnait. Au lieu d’accepter son rôle avec résignation, sinon avec empressement, comme c’était son devoir, il déclara que cet ordre était absurde et inexécutable. Aveuglé par la passion qui l’enveloppait si bien qu’il ne voyait plus rien en dehors d’elle, il s’imagina que cet ordre subit de départ était une machination souterraine inventée par Flavio pour se débarrasser de lui et ressaisir l’amour de Sylverine. « C’est lui qui a fait le coup; pourquoi ne part-il pas lui-même? » Il ne réfléchissait pas que c’était à lui spécialement que cette tâche devait être réservée, puisqu’il avait longtemps habité les provinces napolitaines, dont tous les moyens d’action lui étaient connus. «Il en ar-