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tour que la France est une démocratie libérale, une aristocratie de la fortune ou du talent, une bourgeoisie ou une foule sans idées politiques, ne demandant qu’à rester en tutelle, on peut répondre, d’après plusieurs expériences contradictoires et manquées, qu’on n’en sait vraiment rien. La France n’est absolument aucune de ces choses, mais elle est plus ou moins chacune de ces choses. De là viennent les contradictions et les reviremens d’opinion si multipliés dans notre pays, qui voudrait néanmoins être représenté tel qu’il est, dans ses nuances comme dans son instabilité. Il faudrait donc trouver un instrument assez fin et assez pratique pour reproduire dans le corps électoral les différences et les transformations rapides des situations privées. Et comme il importe beaucoup d’échapper aux inconvéniens de la faiblesse ou de la domination de la foule, serait-il trop audacieux de chercher à perfectionner le système électoral en séparant les élémens principaux des intérêts existans, et en les mettant en présence, pour leur laisser apercevoir clairement ce qu’ils ont à craindre ou à espérer les uns des autres ? Une combinaison acceptable de ce genre une fois trouvée, on verrait peut-être d’une part ce qu’on procurerait au pays d’influence sur le gouvernement, et de l’autre ce qu’on donnerait de stabilité au pouvoir. Nous ne jouissons pas encore d’une diffusion des lumières suffisante, mais nous avons la diffusion de la propriété. Pourquoi n’en pas profiter afin d’établir une classification plus praticable que celle que l’on fonderait sur l’instruction, et n’entraînant d’exclusions d’aucun genre? Si la démocratie est le peuple organisé, on comprend que chacun s’y puisse rallier; mais si c’est la foule, tout le monde doit la craindre.

Il est peu judicieux sans doute de répondre à la proposition d’un système compliqué par celle d’un autre système tout aussi hasardeux; néanmoins on admettra peut-être sans malveillance l’étude absolument théorique d’un suffrage universel modifié et divisé par groupes de situations et de catégories, car bien que les classes aient disparu, les différences de situation sont restées. Le suffrage universel sans restriction ne saurait-il être établi sur une base mixte et pondérée, fondement nécessaire d’un juste équilibre représentatif? S’il était permis de comparer l’arithmétique à l’art de la politique, qui est l’opposé des sciences exactes, on pourrait dire en principe qu’il serait heureux de trouver une combinaison et une règle de proportion par lesquelles on supposerait qu’en fait d’élections la propriété est au nombre comme le nombre est à l’industrie, celle-ci au commerce, et ainsi de suite entre les principaux élémens du pays[1]. Il est évidemment impossible de réaliser exactement

  1. Dans la constitution passagère de 1791, un tiers de la représentation était pris dans le territoire, un tiers dans la contribution, un tiers dans la population.