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de ce monde. » Il dirigeait également une société de prévoyance et de secours pour les domestiques, et il prononça le 16 mai 1849 ces touchantes paroles : « Qui n’éprouverait le plus profond intérêt pour le bien-être de ses serviteurs ? Quel est le cœur, auquel manquerait la sympathie pour ceux qui nous servent dans les besoins journaliers de la vie, qui nous soignent dans la maladie, qui nous reçoivent lors de notre première apparition dans le monde et étendent leurs soins jusqu’à nos restes mortels, qui vivent sous notre toit, qui forment notre maison et font partie de notre famille ? » Convaincu que le pouvoir doit rester en communication perpétuelle avec le sol où sont ses racines, le prince Albert savait très bien que ce qui fait la force de la nation anglaise, c’est que nulle part il n’existe moins de jalousie et d’animosité entre les différentes classes. La noblesse a su se préserver des trois écueils contre lesquels se sont heurtées tant d’aristocraties : l’oisiveté, la morgue et l’esprit d’exclusion. Elle a su renouveler son sang et ses idées en ouvrant ses rangs aux illustrations qui se produisent hors de son sein et en se soumettant, dans toutes les circonstances, au contrôle salutaire de l’opinion publique, « N’en doutez pas, disait le prince, les intérêts des classes trop souvent mises en contraste sont identiques, et l’ignorance seule les empêche de s’unir à leur avantage mutuel. Tous les philanthropes doivent tendre à dissiper cette ignorance, et à montrer comment l’homme peut aider l’homme, quelles que soient les complications de la société civilisée. C’est tout particulièrement le devoir de ceux qui jouissent, par la bénédiction de la divine Providence, des bienfaits du rang, de la richesse et de l’éducation. »

Ce n’est pas seulement sur l’Angleterre que le prince portait ses regards. Sa pensée favorite était le rapprochement des peuples et le progrès de la civilisation générale. Son principal titre de gloire sera d’avoir été le promoteur d’une entreprise qu’on peut considérer comme le symbole vivant des tendances de ce siècle. Ces expositions universelles, qui depuis ont fonctionné trois fois avec une régularité si admirable, semblaient d’abord des utopies. On se plaisait, suivant la loi commune, à grossir les obstacles. Comment réunir sur un seul point les spécimens de tous les produits du globe ? où trouver les fonds nécessaires à la construction d’un palais assez vaste pour qu’on y puisse tenter une aussi gigantesque épreuve ? Le moyen de garantir tant de marchandises contre les risques de si longs voyages, de mettre de l’ordre dans cet immense chaos, de distribuer les récompenses dans un esprit d’impartialité assez Incontestable pour éviter les récriminations et les jalousies internationales ? Le prince Albert réfuta toutes les objections avec l’intelligence hardie que donne une conviction profonde. La grandeur de l’œuvre le soutenait, et bientôt l’opinion publique fut unanime pour le remercier de son heureuse initiative. « C’est pour moi, disait-il, une grande satisfaction de voir l’idée que j’avais émise rencontrer un concours et une approbation universels, car cela me prouve que mes vues sur les exigences particulières de notre temps répondent à celles du pays… Personne, parmi ceux qui ont consacré quelque attention aux traits essentiels de notre époque, ne peut douter un moment que nous ne nous trouvions dans une période de transition merveilleuse, qui tend rapidement vers le but indiqué par l’histoire tout entière, la réalisation de l’unité