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nouvelles fonctions ne nuisissent à l’accomplissement de la tâche qui lui était dévolue, et c’est ainsi qu’il prenait soin de la définir. « Cette situation, écrivait-il, est particulière et très délicate. Bien qu’une femme ait sur le trône de grands désavantages en comparaison d’un roi, cependant, si elle est mariée, sa position a, d’autre part, beaucoup d’avantages qui compensent les inconvéniens, et, à la longue, elle se trouvera peut-être plus forte qu’un souverain ; mais ceci exige que le mari confonde absolument son existence individuelle avec celle de sa femme, qu’il ne prétende à aucun pouvoir personnel ou séparé, qu’il évite toute ostentation, qu’il ne prenne aux yeux du public aucune responsabilité spéciale ; il faut qu’il comble les vides que la reine, en sa qualité de femme, est nécessairement obligée de laisser dans l’exercice de ses fonctions royales, qu’il surveille attentivement et continuellement toutes les branches des affaires publiques, afin d’être en mesure de la conseiller et de l’assister à tout moment dans les nombreuses et difficiles questions qui lui sont soumises, et dans les devoirs internationaux, politiques, sociaux ou personnels qu’elles imposent. Comme chef naturel de sa famille, surveillant de sa maison, unique appui dans ses communications avec les chefs de son gouvernement, il n’est pas seulement le mari de la reine, il est le gouverneur des enfans royaux, le secrétaire particulier de la souveraine et son ministre permanent. »

Les prérogatives de la couronne en Angleterre sont plus étendues qu’on ne le suppose quelquefois parmi nous, et les rapports de la royauté avec le parlement comme avec le pouvoir exécutif ont souvent une grande importance. La reine Victoria, dès le début de son règne, s’est occupée avec le soin le plus scrupuleux des affaires publiques et de toutes les questions soit intérieures, soit étrangères. Elle a tenu à être exactement informée de ce qui se passe entre le Foreign-Office et les représentans des puissances, à recevoir les dépêches en temps utile, à examiner, pour pouvoir y donner son approbation en connaissance de cause, celles qui sont adressées au dehors. Non-seulement son influence a été décisive en ce qui touche les alliances de famille et les relations personnelles avec les souverains de l’Europe, mais son droit de nommer les ministres a mis bien des fois à l’épreuve son tact et sa sagesse. Associé, sans faste et sans bruit, à toutes les délibérations, le prince Albert a, pendant près d’un quart de siècle, trouvé le moyen de seconder sa royale compagne dans les rapports de la couronne avec le ministère, sans gêner ni offusquer le ministère lui-même. Passionné pour l’étude, et unissant la patience du savant aux vues élevées de l’homme d’état, il approfondissait toutes les questions avec un zèle infatigable.

La noblesse de son cœur et la sûreté de son jugement se révèlent dans ses discours. Son amour pour l’humanité en fait le principal mérite. Il était digne de comprendre cette belle parole de Massillon : « Les grands seraient inutiles sur la terre, s’ils n’y trouvaient des pauvres et des malheureux. » — « C’est notre devoir, disait-il à Birmingham le 22 novembre 1855, d’aider énergiquement, courageusement, sans nous lasser, la masse du peuple, par nos avis, notre concours et notre exemple. » Il avait accepté avec empressement la présidence de la société pour l’amélioration du sort des ouvriers, « heureux de témoigner sa sympathie pour cette classe qui porte la plus lourde part des travaux et reçoit la plus petite part des jouissances