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les moyens, il étudie les projets, il s’associe à toutes les entreprises. La fin de l’éducation, si ardemment attendue ailleurs, l’inquiète, car lirait que toutes les voies de la vie sont fermées devant lui. — Il ne servira l’oppresseur ni dans ses hordes armées, ni dans ses ignobles bureaux ; les carrières libérales n’existent pas pour lui ; de quelque côté qu’il se tourne, il voit son chemin se bifurquer entre la médiocrité et le déshonneur. » Certes, si jamais le désespoir a donné le droit à des hommes d’attaquer un ordre politique inique par les moyens révolutionnaires, c’est bien à ces Polonais dont le martyre moral commence dès l’enfance. A-t-on vu cependant sortir de leur sein un révolutionnaire aussi audacieux et aussi violent que le général Mouravief ? Pour vaincre l’insurrection, ce général n’a pas craint de recourir à la plus odieuse des guerres sociales. Il s’efforce de soulever les paysans contre les propriétaires. Il organise de sang-froid une jacquerie. Il fait contre les propriétaires une loi des suspects, et ce sont les paysans, auxquels il promet le profit des confiscations, qu’il charge de découvrir et d’arrêter ceux qu’ils soupçonnent de favoriser les rebelles ! Vit-on jamais une œuvre révolutionnaire et une tentative de désorganisation sociale aussi démoralisante ? Le général Mouravief s’est chargé de réaliser sous nos yeux la parole de M. Hertzen : « Le gouvernement russe, après avoir travaillé vingt ans, est parvenu à allier d’une manière indissoluble la Russie à l’Europe : révolutionnaire. » Si on laisse encore une fois et par de tels moyens écraser la Pologne par la Russie, ce n’est pas seulement dans le patriotisme que les intérêts conservateurs auront reçu une profonde atteinte, c’est dans la propriété même et dans les bases de l’ordre social. La Pologne rejettera sur le continent ses fermens de révolution, et la Russie, enhardie par sa victoire, reprendra vis-à-vis de l’Occident une attitude menaçante, qui cette fois ne fera pas courir à l’ordre social de moindres périls qu’à l’ordre politique. Politiquement nous laisserions détruire l’œuvre de la guerre de Crimée. La Pologne terrassée, la Russie pourrait reprendre sans obstacle la propagande panslaviste, qui livre à son influence sur les points les plus malades de l’Europe des populations si nombreuses et si inquiètes. Devant l’impuissance de la France et la systématique abstention de l’Angleterre, on verrait se resserrer nécessairement cette solidarité des puissances copartageantes, cette alliance des puissances du Nord que nous avions brisée en Crimée et en Italie. Enfin, si les démarches tentées en commun par la France, l’Angleterre et l’Autriche demeurent sans résultat, c’est que les cabinets n’auront pu se mettre d’accord pour soutenir leur procédure diplomatique par une action efficace, c’est que des divisions auront éclaté entre eux, c’est que des calculs égoïstes et des défiances obstinées les auront publiquement séparés. À de tels résultats que gagneraient, nous le demandons, les intérêts conservateurs ? Si la guerre est nécessaire pour faire prévaloir les justes droits de la Pologne, avec l’alliance de la France, de l’Angleterre et de l’Autriche, cette guerre ne pourrait donner d’inquiétudes aux intérêts conservateurs, et devrait même