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Ces railleries s’enfonçaient dans son cœur comme une épine; mais dès que l’air pur du soir eut caressé son visage, il se calma un peu et se laissa vivre. Il n’est guère de douleur qu’une nuit d’Asie n’apaise. Qui résisterait alors à la douce influence de cette magnifique nature? La lune éclate et sourit dans l’azur limpide; le firmament resplendit d’étoiles qui semblent plus grandes qu’en Europe : on dirait qu’en Orient l’on est plus près de l’amour et de la beauté. Héraklé regagna son logis assez tard, se coucha sur un des balcons intérieurs, et des songes dorés vinrent charmer son sommeil.

Le lendemain, de grand matin, il frisa son koudi, mit sa ceinture d’argent, et, léger comme un homme heureux, il dirigea sa course du côté de l’ancienne habitation de Nicolaos. En chemin, sa figure s’assombrit un instant, lorsqu’il passa devant le cimetière où reposait son père; il se signa plusieurs fois et continua sa route. Il allait donc revoir Martha, sa chère Martha! Comme le cœur lui battait! C’était la première joie qu’il eût ressentie depuis longtemps. A peine avait-il frappé à la porte de Mikaël, que Martha vint lui ouvrir. — Te voilà! lui dit-elle.

— Où est ton père?

— Il taille les arbres dans le jardin.

— Je vais l’y trouver : j’ai à lui parler.

— Ne vous querellez pas au moins.

— Sois tranquille.

Du plus loin qu’il aperçut le fils de Nicolaos, Mikaël lui cria :

— Bonjour, Héraklé!

— Bonjour, Mikaël.

— Veux-tu boire avec moi une koula de vin pour te rafraîchir?

— Volontiers, répondit le jeune homme en lui serrant la main; puis nous causerons.

Mikaël, à part lui, était satisfait de voir que le jeune homme ne lui gardait plus rancune. Ils entrèrent dans la chaumière et s’accroupirent devant une table basse où Martha déposa du pain noir, du fromage, des oignons et du vin. Ils s’entretinrent d’abord de choses indifférentes et frivoles; puis Héraklé interrompit brusquement son hôte.

— Nous sommes dans la semaine sainte, lui dit-il.

— Ah ! tu viens sans doute la veille du jeudi saint pour brûler ensemble nos diableries? Le soir du jeudi saint, en Géorgie, les chrétiens allument çà et là des feux de paille dans les rues ou dans la cour de leurs maisons pour rôtir le diable, qui en rôtit bien d’autres, comme ils disent, et femmes et enfans dansent en rond autour de la flamme pour se purifier de leurs vieux péchés, pendant que les hommes tirent en