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— Le visage de Nicolaos, chuchotait l’un, est jaune comme un limon de Trébizonde.

— Jaune ! reprenait un autre, dis donc plus vert que les olives-de son jardin.

Il entendait ces propos, mais il dédaignait d’y répondre et ne levait même pas la tête. Parfois, pour occuper l’activité de ses mains amaigries, il filait à l’ombre de sa cabane[1].

— Ce n’est pas de l’or qu’il file à sa quenouille, disait quelque méchante langue.

— Sa quenouille sera bientôt un cierge, si cela continue.

— Nicolaos, lui demandait un ami, es-tu malade ?

— Non, répondait-il brièvement en secouant la tête. Et à la même question il opposait invariablement la même réponse.

Sa femme et son fils avaient beau se désespérer, il demeurait toujours enseveli dans sa torpeur habituelle. Martha, qu’il aimait beaucoup et qu’il avait vue naître, perdait auprès de lui ses gentillesses et ses prévenances.

— Voulez-vous que je vous chante une jolie chanson tatare? disait-elle.

— Non.

— Je vais friser votre houdi[2], n’est-ce pas?

— Non.

— Allez à la chasse, cela vous distraira.

— Non.

Quelquefois Héraklé l’emmenait de force à Tiflis; mais, au bout d’un mois, trois verstes étaient devenues une trop longue course pour lui. Sa maigreur devenait plus visible de jour en jour, et quelques fils d’argent apparaissaient dans sa barbe noire. Héraklé et sa mère étaient plongés dans la tristesse; ils appelèrent un médecin arménien qui déclara que le mal était peut-être la fièvre ou peut-être autre chose. Bref, il ne comprit rien à la maladie; mais quand il sut que chaque matin Nicolaos avalait douze œufs cuits sous la cendre, il se récria et déclara cette nourriture mortelle. Le médecin, la femme, le fils, firent de vaines supplications pour obtenir que l’obstiné Mingrélien mît un terme à ce funeste régime. Le malade refusa, disant qu’il ne voulait pas perdre sa maison. Mikaël lui-même lui offrit de rompre le pari; il refusa : — Je l’ai juré, s’écria-t-il, j’aime mieux mourir que de violer mon serment.

— Je te rends ta parole, interrompait Mikaël pendant que sa fille pleurait.

  1. Usage très répandu dans les campagnes géorgiennes.
  2. Bonnet en poil d’agneau.